Invisible pour certains, prévisible pour d’autres, Yannick Jadot est en tout cas le seul à se prononcer clairement en faveur de la légalisation du cannabis. Il est même l’unique candidat aux présidentielles à s’être clairement opposé au décret du 30 décembre dernier, interdisant la vente de feuilles et de fleurs de CBD sur notre territoire et à avoir pris la défense de la filière. Une position courageuse, que nous avons demandé au député européen de nous détailler à travers un entretien sans langue de bois.
Contrairement au reste de la classe politique, vous êtes – avec Jean-Luc Mélenchon dans une moindre mesure – le seul à défendre de façon claire la légalisation du cannabis. Pouvez-vous nous en détailler les raisons ?
Il y a deux raisons majeures à ce choix. D’une part, la prohibition fait prospérer un marché noir et une criminalité organisée génératrice d’insécurité. Elle mobilise la police, la justice, et engorge nos prisons dans des proportions considérables. D’autre part, il est impératif de protéger la santé de nos jeunes qui consomment massivement des produits de mauvaise qualité. La légalisation permettra à l’État d’organiser la production et la vente du cannabis en s’appuyant sur des producteurs et des distributeurs strictement encadrés. Elle restreindra l’emprise des mafias. Les taxes perçues sur les ventes permettront de financer les politiques de santé et de prévention des drogues.
Pourquoi d’après vous les gouvernements français successifs se sont-ils toujours montrés très répressifs vis-à-vis du cannabis ?
Le choix du tout répressif depuis 50 ans est purement idéologique. Macron et le reste de la droite sont au même stade que ceux qui défendaient la prohibition de l’alcool aux États-Unis dans les années 20. Or, la France est le pays le plus répressif d’Europe et celui où l’on consomme le plus : cherchez l’erreur ! Un million de consommateurs quotidiens et 5 millions de consommateurs réguliers. En 2020, les interpellations pour usage simple – 130 000 personnes – représentaient 80 % du total des interpellations sur les stupéfiants. Cette surmobilisation des forces de l’ordre, c’est autant de temps qui n’est pas consacré à lutter contre les violences et les insécurités du quotidien. Le coût combiné des moyens alloués aux trois services de contrôle (police, gendarmerie, douane) sur ce sujet a été multiplié par deux entre 2012 et 2018 (de 500 millions à un milliard d’euros). Pour quelle efficacité ? Pourtant, l’opinion évolue sur le sujet. Un sondage IFOP de juin 2021 fait apparaître que 51 % des Français sont favorables à la dépénalisation du cannabis et 47 % aspirent à sa légalisation.
Le cannabis thérapeutique, déjà autorisé dans de nombreux pays européens, fait actuellement l’objet d’une expérimentation débutée au mois de mars 2021 et qui doit s’achever en mars 2023. Que pensez-vous de l’approche du gouvernement ?
L’expérimentation du cannabis thérapeutique lancée en 2021 montre qu’il s’agit d’un enjeu de santé important. Il aurait des vertus contre les cancers, les maladies dégénératives, l’épilepsie, les situations palliatives, au bénéfice d’environ 200 000 à un million de personnes en France. Les scientifiques sont prêts et l’opinion publique aussi pour généraliser ces pratiques. Je soutiens totalement la filière qui souhaite se développer autour du cannabis thérapeutique. C’est un outil extrêmement efficace dans le traitement des cancers et d’un certain nombre de maladies. Malheureusement dans notre pays, parce que ce gouvernement refuse la culture même en milieu confiné de cannabis, cette filière ne peut pas se développer. C’est totalement irresponsable, vis-à-vis des malades comme de la filière.
« Le choix du tout répressif depuis 50 ans est purement idéologique. »
Que répondez-vous à ceux qui avancent, comme Valérie Pécresse ou Nicolas Dupont-Aignan, que la légalisation du cannabis inciterait les trafiquants à multiplier la vente de drogues dures ?
Les consommateurs de drogues dures sont infiniment moins nombreux que les consommateurs de cannabis et, pour les vendeurs, le cannabis est un produit d’appel. La légalisation du cannabis affaiblira les mafias en confisquant ce produit d’appel et limitera les points d’entrée vers les dealers et les drogues plus coûteuses et plus dangereuses. Donc légaliser le cannabis ce n’est pas augmenter la consommation de drogues dures, bien au contraire.
De quelle manière concrète envisagez-vous la mise en place d’une légalisation du cannabis ?
La légalisation que je propose permettra de réguler et encadrer la production, l’importation, la vente et la consommation. La dépénalisation, qui se contente de supprimer l’infraction sans encadrer la vente n’est pas suffisante, car dans ce cas, les trafics se maintiennent. L’État devra organiser la production et la vente du cannabis en s’appuyant sur des producteurs et des distributeurs strictement encadrés. La vente ne sera autorisée que pour les majeurs et la qualité des produits sera contrôlée. Les taxes perçues sur les ventes permettront de financer les politiques de santé et de prévention des addictions. Ce marché devra être suivi, évalué et ajusté après une première phase d’expérimentation. La mise en place de ce marché pourra s’appuyer sur les expériences menées à l’étranger.
Vous êtes le seul candidat à la présidentielle et l’un des rares hommes politiques à avoir protesté contre l’interdiction de la vente de feuilles et de fleurs de CBD. À cet égard, décréter une interdiction qui peut engendrer la perte de dizaines de milliers d’emplois, ne relève-t-il pas d’une certaine irresponsabilité ?
Ce gouvernement est tellement dogmatique qu’il est revenu sur le droit de vendre des feuilles et des fleurs contenant du CBD, malgré le droit européen. Effectivement, des milliers d’emplois sont en jeu. Heureusement, le conseil d’État a suspendu l’interdiction de commercialiser à l’état brut des fleurs et feuilles de cannabis lorsque la teneur en THC est inférieure à 0,3 %.
Vous-même, avez-vous déjà consommé du cannabis THC ou du CBD ? Dans ce dernier cas, sous quelle forme ?
Comme de très nombreux Français, j’ai déjà consommé du cannabis dans ma jeunesse, je ne m’en cache absolument pas.
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