Il n’y a pas que les écoliers qui attendent la rentrée, mais également les producteurs de chanvre, pour qui reprise automnale rime avec récolte. Des agriculteurs presque comme les autres qui renouent avec une culture ancestrale tombée en disgrâce, avant que la déferlante bio ne vienne la sortir de l’ombre. Des semailles d’avril aux récoltes d’octobre et leurs multiples usages, nous avons emprunté la route du chanvre, guidés par quelques producteurs passionnés et passionnants.
La culture du chanvre est quasiment née avec l’agriculture, même si cette plante remarquablement polyvalente a connu des périodes maigres, notamment avec l’apparition de la pétrochimie, à la fin du XIXè siècle. La France comptait ainsi quelques 175 000 hectares de terres cultivées sous Napoléon III, réduits à moins de 0,5 % de ce chiffre cent ans plus tard, au début des années 1960, après l’interdiction par l’ONU de la culture du cannabis. La plupart des pays abandonnent alors la filière du chanvre industriel, la France ne conservant qu’une poignée d’hectares, notamment dans l’Aube pour la fabrication du papier. Cinquante ans plus tard, le chanvre a retrouvé quelques couleurs et même fait depuis ces cinq dernières années, un véritable retour en force, avec plus de 300 000 hectares cultivés à travers le monde, dont au moins 50 000 en Europe.
1500 exploitants et un catalogue inadapté
Dans l’Hexagone, leader européen en termes de producteurs et de surfaces cultivables (près de 20 000 hectares), la filière explose littéralement et le nombre de producteurs de chanvre grossit chaque année, flirtant aujourd’hui avec les 1 500 exploitants.
Parmi cette multitude d’acteurs de la filière, on compte bien sûr une majorité de chanvriers cultivant la plante pour sa tige qui trouve son usage dans de nombreux domaines industriels et pour ses graines, destinées aux circuits alimentaires ou cosmétiques, notamment sous forme d’huile. Les neuf variétés de chanvre du catalogue français sont d’ailleurs toutes prévues pour ce type d’exploitation, comme nous le rappelle Fabien Artigaud, qui cultive une parcelle de 2 000 mètres carrés en Charente-Maritime, dans le cadre de l’association Perma-Chanvre : « Normalement, nous sommes censés fonctionner avec les variétés du catalogue français et nous avons l’obligation de n’utiliser que celles-ci. Le problème, c’est que nous savons tous que ces variétés sont à vocation tiges et graines et pas à vocation fleurs. » En effet, l’extraction du CBD se fait le plus souvent à partir des fleurs et leur récolte, tout comme celle des feuilles, étant officiellement interdite sur le territoire français, les variétés autorisées ne sont pas adaptées à ce nouveau marché. « Les producteurs qui jouent le jeu et fonctionnent avec les variétés du catalogue en essayant d’orienter vers la fleur sont donc confrontés à un vrai problème de compatibilité. », explique Fabien Artigaud, pour qui « 60 à 80 % des producteurs de CBD ont fait du hors catalogue cette année », en allant piocher dans les 49 variétés autorisées par la législation européenne. « Le paradoxe, continue Fabien, c’est que les variétés hors catalogue sont plus stables au niveau de la norme française du THC qui ne doit pas dépasser 0,2 %, mais les autorités n’y comprennent pas grand-chose et sont bien incapables de distinguer les différents types de plantes à l’œil nu ! ». Il faut dire que les exploitations dédiées au CBD ne représentent probablement qu’un dixième de la totalité du parc français des chanvrières et qu’une formation pointue des agents administratifs ne constitue donc pas vraiment un impératif…
Une culture chanvrière à trois vitesses
Le travail du chanvre se pratique de trois manières différentes, dont la plus répandue est la culture extérieure (outdoor) en pleine terre. C’est également la plus périlleuse, puisqu’elle est fortement dépendante des conditions climatiques et du terroir, ce dernier jouant même un rôle essentiel dans la culture du cannabis, comme l’explique Ludovic Loffreda, fondateur et directeur de la société Hemperious qui exploite 60 hectares de chanvre au Portugal et une dizaine en France, dans les départements du Rhône et de la Loire : « Nous avons choisi d’anciennes terres viticoles, car le terroir est très important et il s’avère que là où la vigne pousse bien, le cannabis produit est excellent ! D’autre part, une terre riche en minéraux et nutriments ne nécessite que très peu d’engrais et nous n’avons utilisé que 20 % des engrais initialement prévus pour cette année. ». La récolte 2021 d’Hemperious s’est d’ailleurs révélée très satisfaisante avec deux tonnes de fleurs sèches, sans compter tous les produits dérivés issus de la biomasse, constituée du matériel végétal périphérique de la plante. Ce n’est hélas par le cas pour tout le monde, comme en Charente-Maritime où la récolte de Fabien Artigaud handicapée par de très mauvaises conditions climatiques, n’a pas dépassé 100 kilos : « La chaleur ne pose pas trop de problème, parce que l’on peut toujours arroser, mais c’est compliqué d’arrêter la pluie lorsque l’on travaille en extérieur ! ». Même discours du côté de Fabrika Chanvre, une petite exploitation de l’Oise tenue par Ludovic Saint-Val et ses deux associés, qui a tout de même échappé au désastre grâce à la culture en serre (greenhouse) : « Nous avons créé l’entreprise au début de l’année et nous sommes donc plutôt dans une phase expérimentale, mais pour cette première récolte, nous avons eu beaucoup de moisissure dues à de longues périodes de pluie, entrecoupées de vagues de chaleur. Cela s’est donc révélé assez compliqué, avec des floraisons tardives. La serre est particulièrement utile dans la région, surtout lorsque la terre gèle au petit matin ! ». Fabrika Chanvre travaille sur moins d’un hectare, en association avec une coopérative qui a vu dans ce partenariat une manière de diversifier sa production, habituellement centrée sur des cultures locales comme la betterave ou la pomme de terre.
Avant de se lancer dans la production de fleurs de chanvre, Ludovic et ses associés possédaient plusieurs boutiques consacrées au CBD et à ses dérivés et ils ont donc abordé la production avec la volonté « d’ajouter leur pierre à l’édifice », malgré les difficultés : « Rien n’est clair en matière de CBD et les autorités elles-mêmes ne savent pas sur quel pied danser et préfèrent nous décourager. Il faut être très persévérant pour ne pas renoncer et trouver les financements nécessaires, car contrairement à l’agriculture classique, la filière du chanvre n’a droit à aucune subvention, ce qui est une aberration dans un monde où l’on ne cesse de parler d’écologie, de produits innovants et d’écoconstruction. Nous pratiquons pourtant une agriculture toute simple et plus écologique et naturelle que n’importe quelle autre. »
Une démarche écoresponsable dans le flou administratif
La culture naturelle et biologique de la plante est souvent revendiquée par les acteurs de la filière et notamment par Thomas Gret, fondateur avec sa compagne de la société ardéchoise Sativine : « Nous produisons du chanvre CBD depuis 2015, ce qui fait de nous l’un des tout premiers acteurs du marché à exploiter les sommités fleuries (têtes ou buds des plantes femelles). J’ai obtenu mon diplôme d’agronomie grâce au chanvre et j’ai créé l’entreprise dès la fin de mes études. Nous n’avons pas de terres propres, ni de matériel, mais nous travaillons en collaboration avec des agriculteurs biologiques triés sur le volet, afin qu’ils cultivent le chanvre selon notre protocole. Nous fournissons les graines et nous effectuons le travail de terrain tout au long de la chaîne de production. » Pour Sativine, la récolte 2021 a été plutôt prolifique avec trois à quatre tonnes de têtes récoltées : « Il y a beaucoup de confusion entre les fleurs et les sommités. Les fleurs, c’est ce qu’il y a sur les plants mâles et que nous ne ramassons pas. Ce sont elles qui donnent le pollen et pollinisent les plantes femelles, dont nous récoltons les têtes. » Avant d’arriver à ce résultat, Thomas a dû affronter la législation française à laquelle il a été brutalement confronté dès ses débuts : « Notre première récolte à peine terminée, nous avons été perquisitionnés par la police judiciaire qui pensait que nous produisions du cannabis illégal. Les fonctionnaires ont saisi les 500 kilos de notre production, sur laquelle ils ont pratiqué de fausses analyses, révélant un taux de THC dix fois supérieur à la norme autorisée. Nous avons été condamnées en première instance, mais nous sommes allés en appel avec une contre-expertise et la cour nous a finalement donné raison en jugeant notre circuit commercial et notre production parfaitement légaux et en ordonnant la restitution du matériel saisi. »
S’il y a bien une chose que les acteurs de la filière cannabidiol (CBD), espèrent unanimement, c’est la clarification de la loi française vis-à-vis de cette molécule exempte de tout effet psychoactif et qui n’entraîne aucune addiction, ni effet secondaire significatif. Il semble bien, néanmoins, qu’il faudra attendre une décision européenne, comme le suppose Ludovic Loffreda : « Ce n’est que mon avis, mais je pense que l’État ne veut prendre aucun risque vis-à-vis d’une opinion publique très divisée sur le sujet. Il préfère donc afficher sa fermeté en tentant de durcir encore la loi, tout en sachant que cela va à l’encontre de la législation européenne sur la libre circulation des produits, qui ne pourra que s’y opposer. » Une décision plus politique que sécuritaire ou sanitaire donc, qui en rappelle d’autres dans le contexte pandémique actuel.
Petit lexique du chanvrier
Biomasse : Dans le cadre de la filière CBD, la biomasse désigne toute la matière organique qui demeure après la récolte de la fleur (tiges, feuilles, etc.).
Bud : Les buds sont les têtes de la plante femelle, qui contiennent la majorité des principes actifs. On parle de small buds pour des petites têtes.
Cannabis Sativa : Le cannabis Sativa est la variété de chanvre cultivé, qui fournit principalement le CBD.
Dioïque : Une plante dioïque (du grec signifiant « deux maisons ») possède naturellement deux plants distincts, l’un mâle et l’autre femelle.
FIMing : Le FIMing (Fuck I Missed) est une technique de taille qui consiste à supprimer la pousse la plus récente en la « pinçant ».
Greenhouse (culture) : La culture dite greenhouse, est la culture du chanvre pratiquée sous serre.
Indoor (culture) : Le terme indoor désigne la culture en intérieur, qui permet notamment d’éviter la pollinisation sauvage.
Lollipopping : Il s’agit d’une technique de taille qui consiste à couper les branches de la partie inférieure de la plante.
Master grower : Ingénieur agronome diplômé.
Outdoor (culture) : Ce terme désigne la culture du cannabis en extérieur, en pleine terre. C’est la méthode la plus ancienne.
Topping : Technique de taille qui consiste à couper le haut de la plante.
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