Mercredi 6 octobre 2021, les fondateurs d’une société marseillaise, pionnière de la cigarette électronique au CBD en France, étaient convoqués devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Ceci dans le but d’y être jugés des chefs d’infractions à la législation sur les substances vénéneuses. Décryptage d’un feuilleton judiciaire qui a définitivement changé le destin du CBD en France : retour sur l’affaire Kanavape !
Récapitulation de l’affaire Kanavape
Cette audience fait suite à 7 années de bataille judiciaire, dont l’enjeu, majeur pour tout un secteur d’activité en plein développement, est de déterminer le statut du cannabidiol dit CBD. Le CBD est une molécule présente dans le cannabis et appréciée pour ses effets relaxants non psychotropes.
Le CBD est-il un médicament, une drogue ou une marchandise comme une autre ?
La réponse à cette question doit permettre d’appliquer au CBD un certain régime juridique qui interdira sa commercialisation ou en encadrera les modalités.
En l’occurrence, la société commercialisait des cigarettes électroniques appelées Kanavape, contenant du CBD importé de République Tchèque, membre de l’Union Européenne, où il était produit à partir de la plante de cannabis sativa dans son intégralité.
À la suite d’une campagne de communication conduite par la société en 2014 pour promouvoir le lancement du « Kanavape », des poursuites judiciaires ont été engagées par les autorités.
Au mois de juillet 2016, à la suite de la réunion de sa commission des stupéfiants et des psychotropes, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a fait savoir qu’elle ne considérait pas le Kanavape comme un « médicament ».
Par un jugement du 8 janvier 2018, le tribunal correctionnel de Marseille a déclaré les fondateurs coupables des chefs d’infraction à la législation relative aux substances vénéneuses, et les a condamnés à 18 et 15 mois d’emprisonnement avec sursis, ainsi qu’à 10.000 euros d’amende chacun.
L’Europe entre en jeu
Les requérants ont fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, en soutenant que l’interdiction de la commercialisation du CBD issu de la plante de cannabis sativa dans son intégralité était contraire au droit de l’Union.
La Cour d’appel a alors saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’une question préjudicielle, mécanisme permettant à une juridiction nationale de questionner la compatibilité d’une règle nationale avec le droit de l’Union.
La Cour d’appel demandait ainsi à la CJUE si l’arrêté du 22 août 1990, limitant la culture, l’importation et l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre aux seules fibres et graines de la plante, et interdisant de ce fait l’importation et la commercialisation d’e-liquide contenant de l’huile de CBD obtenue à partir de plantes entières, était conforme au droit de l’Union Européenne, et notamment au principe de libre-circulation des marchandises.
L’État français sommé de revoir sa copie
Le 19 novembre 2020, dans une décision désormais historique, la CJUE a remis en cause la législation française, en considérant qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques et au regard des conventions internationales, l’huile de CBD ne pouvait être considérée comme produit stupéfiant, mais au contraire comme une marchandise soumise au principe européen de libre-circulation.
Toutefois, la CJUE a admis qu’il était possible de restreindre cette libre-circulation dans un objectif de protection de la santé publique, à condition que cette restriction soit nécessaire et proportionnée.
Cette décision européenne, non applicable immédiatement au droit français, fournit une feuille de route à la Cour d’appel, qui devra donc apprécier, à la lumière des données scientifiques disponibles, si des effets néfastes pour la santé peuvent être liées à l’utilisation du CBD, justifiant l’application d’un principe de précaution.
La Cour de cassation confirme, dans l’affaire Kanavape
Parallèlement, le 23 juin 2021, la Cour de cassation, plus haute juridiction française, a rendu un arrêt important concernant la commercialisation du CBD en France, par référence à l’arrêt du 19 novembre 2020.
La Cour de cassation a en effet cassé l’arrêt d’une Cour d’appel qui avait condamné le dirigeant d’une société pour des infractions à la législation sur les produits stupéfiants, en retenant que « les produits saisis et analysés [dans le dossier] étaient constitués de sommités fleuries de cannabis contenant du THC à l’état de traces ».
La Cour de cassation a estimé qu’en relevant que seules des « traces » de THC étaient présentes dans les produits saisis – qui par ailleurs étaient légalement produits dans un Etat membre et donc soumis au principe de libre circulation des marchandises, la Cour d’appel ne pouvait considérer ces produits comme stupéfiants et condamner le requérant.
A la lumière de ces décisions rendues par les plus hautes juridictions, tous les voyants semblent donc au vert pour que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence statue en faveur des fondateurs de la Kanavape.
Le délibéré de l’affaire Kanavape sera rendu le 17 novembre 2021.
Affaire à suivre…
Toutefois, la libéralisation complète du CBD et de ses produits, devra passer par une véritable évolution législative, moderne et ambitieuse.
Ce n’est malheureusement pas le chemin que semble emprunter aujourd’hui le Gouvernement, qui souhaite notamment continuer d’interdire la vente de fleurs de CBD, dont l’aspect est indissociable du cannabis « classique ».
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