Sujet Magazine n°4 : Après les difficultés bancaires, les mésaventures judiciaires constituent la seconde épine dans le pied des professionnels du cannabidiol, même si elles ne posent en général qu’un problème ponctuel, apanage des entrepreneurs débutants. Rares sont ceux qui, en mettant le pied dans le monde du CBD, n’ont jamais eu affaire à la justice et ses serviteurs, au premier rang desquels la police et les douanes. Il arrive même que les contrôles de routine dégénèrent en véritable harcèlement lorsqu’un fonctionnaire trop zélé, outrepassant ses prérogatives et la législation, se mue en quasi autocrate. Seconde partie de notre dossier sur les difficultés qui entravent encore substantiellement l’essor de la filière CBD et retour sur une législation du CBD encore floue !
« Cinq agents ont déboulé avec un chien et ont aussitôt bouclé le magasin. Ils ont fouillé partout et embarqué la quasi-totalité du stock, au lieu de se contenter d’échantillons, comme cela se fait habituellement. Nous avons vraiment eu l’impression d’être de dangereux criminels ! »
Non, le narrateur de ce témoignage n’appartient pas à la French Connection, loin s’en faut. Julien Valéry a ouvert sa boutique de CBD en franchise à Bourg-en-Bresse en 2019 et il n’a fallu qu’une poignée de semaines avant que sa marchandise ne fasse l’objet d’une première saisie douanière directement chez le transporteur, sans même qu’il en soit averti par les autorités concernées. Dans un laps de temps très court, deux autres interventions du même type ont eu lieu avant que le procureur n’ordonne la perquisition très cavalière de la boutique gérée par Julien :
« J’ai été convoqué le soir même pour la mise sous scellés de mes produits et pour rester ouvert, j’ai dû faire une nouvelle commande en puisant dans ma trésorerie, car le stock confisqué ne m’a jamais été rendu. Quelques semaines plus tard j’ai été à nouveau convoqué pour m’expliquer sur la nature de mes produits. »
Si elle n’était aussi caricaturale et excessive dans son déroulement, l’histoire vécue par Julien Valéry pourrait être emblématique du parcours ordinaire d’un négociant en CBD, surtout de ceux tenant boutique. Comme le relève Ludovic Loffreda, patron d’Hemperious, les chanvriers, cultivateurs et producteurs, sont en effet bien moins concernés par les descentes de police et saisies de matériel :
« En tant que chanvriers, nous ne sommes pas très exposés. Les plus souvent menacés et inquiétés sont les propriétaires de boutiques, car c’est très facile d’intervenir dans un magasin ayant pignon sur rue. Ce sont eux qui endurent 90 % des contrôles administratifs. »
Un constat amer pour les détaillants, même si cela ne signifie pas que le reste de la filière échappe à la menace policière. Thomas Gret, fondateur de la société Sativine, a subi son premier contrôle en 2015, à une époque où le CBD en était alors dans l’Hexagone à sa quasi préhistoire :
« À l’époque c’était très compliqué, car le statut juridique du CBD était encore plus flou qu’aujourd’hui. Nous avons d’abord été condamnés sur la base d’analyses non conformes, mais nous avons décidé de nous battre afin d’obtenir gain de cause et nous avons finalement gagné. Il faut savoir que les professionnels du CBD connaissent souvent mieux la législation que l’administration judiciaire. »
Une réglementation ambigüe, qui laisse le champ libre à des interprétations hasardeuses
Le manque de formation, voire l’incompétence des forces de l’ordre dans le domaine du CBD est régulièrement dénoncé par la filière, qui en subit parfois les conséquences jusqu’au burlesque, à l’instar de Julien Valéry :
« Lors de ma première convocation, je suis tombé sur deux agents des douanes qui ne connaissaient absolument rien au sujet et l’entretien a été franchement surréaliste. Pour vous donner quelques exemples, je devais répondre de trafic de stupéfiants et importation de marchandises illicites sur le territoire français alors que mes produits venaient de France, comme cela était indiqué sur les factures, puisque mon fournisseur est français. J’ai eu bien du mal à leur expliquer qu’il était difficile d’importer des marchandises déjà sur le territoire… Ils m’ont également montré des analyses de mes produits sans aucun détail sur la méthodologie, alors qu’il existe un protocole par chromatographie fixé par l’Europe que je leur ai soumis, mais qui n’a pas eu l’air de les intéresser. Ils m’ont aussi présenté d’autres analyses avec des taux de THC indécelables, mais pourtant considérés comme illégaux, bref, une succession d’aberrations de ce genre, un véritable festival ! »
Les contrôles administratifs dans les boutiques sont quotidiens et dégénèrent parfois…
Si Julien n’a pas dépassé le stade des convocations et des perquisitions, la procédure judiciaire peut prendre un virage plus coercitif comme en témoigne Stéphane Fischer, propriétaire de trois boutiques dans l’Est de la France :
« En novembre 2019, je me suis fait livrer un gros colis d’environ 40 kilos par UPS qui est arrivé ouvert au dépôt. L’odeur a attiré les agents des douanes qui m’ont attendu chez UPS déguisés en livreurs. Ils ont saisi ma marchandise, puis j’ai eu droit à une garde à vue, avec perquisitions de ma voiture, de ma boutique et même de mon domicile. J’ai ensuite été transféré à la brigade des stupéfiants à Strasbourg et j’ai passé deux jours là-bas, puis directement en comparution immédiate au tribunal, d’où je suis finalement ressorti libre. »
Le problème, dans le cas de Stéphane, c’est que le colis contenait notamment des fleurs dont la vente, comme celle des feuilles, est interdite et ce, quel que soit leur taux de THC. Les explications de l’intéressé sur le caractère inoffensif du CBD n’ont donc pas suffi à convaincre l’administration douanière qui a réclamé à son encontre une amende de 200 000 euros. De son côté, le procureur du tribunal compétent a demandé pas moins de 150 000 euros, huit mois de prison ferme et 10 ans d’interdiction de gérance ! Stéphane et son avocat se sont alors tournés vers la Cour de Justice européenne qui a abondé dans leur sens et conduit le juge chargé de l’affaire à relaxer le prévenu, sans que sa marchandise ne lui soit toutefois restituée. L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais c’eût été sans compter sur le légendaire entêtement administratif… Douaniers et procureur ont donc fait appel de la décision rendue en première instance et, si le second s’est finalement décidé à abandonner les charges, les premiers sont restés fermes, laissant Stéphane Fischer dans l’attente d’un deuxième procès.
Des vérifications qui doivent absolument s’appuyer sur des textes de loi sans équivoque
Si la mésaventure de Stéphane n’est pas faite pour rassurer les vocations, il convient tout de même de relativiser, la plupart des interventions judiciaires se déroulant sans difficultés majeures et ne consistant pour l’essentiel qu’à des vérifications du taux de THC parfaitement admises par les acteurs de la filière comme Ludovic Saint-Val, de Fabrika Chanvre :
« Personne ne dit que des contrôles ne doivent pas avoir lieu et c’est même tout à fait normal. Il faut bien sûr que le milieu soit structuré et qu’il évolue dans un cadre législatif bien défini, avec les règles y afférent. Mais pour que cela se passe dans de bonnes conditions, il est grand temps que les lois deviennent claires, parce que sinon, les perquisitions abusives et la répression injustifiée envers certains détaillants moins bien situés que d’autres ne s’arrêteront pas ».
Et le harcèlement aussi, comme celui vécu par Julien Valéry, décidément bien mal loti, puisque après les douanes, il a reçu par deux fois la visite de la police judiciaire accompagnée d’agents de l’ARS, avec à la clé de nouvelles saisies et perquisitions, suivies de contrôles effectués sur ses produits avec des tests salivaires ! Pour Julien, convoqué une fois encore devant le tribunal en fin d’année, cet acharnement ne tient qu’à la seule volonté du procureur de l’Ain qui l’a pris en grippe, même s’il en ignore les raisons.
Douaniers et policiers ne sont pas les seuls à menacer la tranquillité des commerçants
Lorsque ce n’est pas directement la justice qui est en cause, les ennuis peuvent venir d’autres administrations, au premier rang desquelles, les mairies, dont certaines voient d’un mauvais œil l’installation d’une boutique de CBD dans “leur“ ville :
« Je n’ai pas eu de problème particulier avec la police ou les douanes et si j’ai bien eu à subir une fermeture administrative, ils n’en sont pas à l’origine, révèle ainsi Mathieu Bersot, gérant de la société Brin d’Herbe. En ce qui me concerne, c’est la mairie de Colmar qui a tout fait pour nous mettre les bâtons dans les roues, en prenant pour prétexte l’urbanisme et le non-respect des normes. »
Une situation également vécue par Julien Valéry – encore lui – pour des raisons à peu près similaires et avec la volonté à peine dissimulée là aussi, de lui signifier l’hostilité des autorités communales :
« J’ai eu des problèmes avec la mairie, mais cette fois-ci d’urbanisme, concernant ma vitrophanie qui, soi-disant, ne respectait pas le cahier des charges. Je me suis vite aperçu que la mairie cherchait surtout à me décourager quand j’ai vu que le boucher d’à côté avait une vitrine rose fluo qui, pour le coup, n’était pas du tout dans le catalogue de couleurs autorisées ! Mes rencontres avec les responsables se sont toutes mal passées. »
D’aucuns professionnels néanmoins, ont essuyé moult contrôles sans que cela ne perturbe leur activité. Ludovic Loffreda est de ceux-là et se fait même l’avocat du diable :
« Comme tout le monde, nous avons eu des vérifications, mais ça n’a pas entraîné de préjudices particuliers pour l’entreprise. Le problème, c’est que beaucoup de détaillants ou de grossistes sont négligents dans la documentation qu’ils présentent aux autorités et cela conduit à des contrôles fréquents pour des produits qui sont en réalité légaux et sur lesquels sont pratiqués des analyses inutiles. Ce qui est important, c’est la traçabilité du produit : si tout est limpide dans le suivi de la marchandise, du vendeur à l’acheteur et à la facturation, c’est très facile d’expliquer la situation et d’aplanir les contraintes. »
À condition, bien sûr, de ne pas tomber sur des fonctionnaires cherchant à imposer leur moraline, en surfant sur les imprécisions juridiques…
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