Le chanvre : une plante à fort potentiel ? C’est peu de le dire tant cette culture millénaire possède de multiples atouts qui la place au cœur des enjeux environnementaux de demain. Dossier grandeur nature sur une filière qui n’attend plus que le feu vert des autorités, pour passer à la vitesse supérieure.
La stupéfiante destinée du Chanvre en France
C’est à Marseille que l’on découvre les traces les plus anciennes de culture de chanvre, qui datent d’avant l’époque romaine. Au moyen-âge, Charlemagne encourage sa culture au vu de ses nombreuses utilisations. Plus tard, par le biais de l’invasion arabe, les savoirs sur les applications du chanvre s’affinent et on apprend la fabrication du papier de chanvre, ainsi que d’autres utilisations. C’est le cas dans la construction navale notamment, où la fibre de chanvre est le matériau le plus utilisé après le bois. De la confection des voiles aux cordages, en passant par les uniformes des marins, l’usage du textile de chanvre est omniprésent. Par ailleurs, l’huile de chanvre sert à assurer l’étanchéité des navires. Elle éclaire la cabine du capitaine lorsqu’il consigne ses notes dans son livre de bord, en papier de chanvre. Quant aux graines de chanvre, elles représentent une source alimentaire importante pour les marins, qui ainsi peuvent tenir plusieurs mois en mer.
Au 17ème siècle, ce n’est pas un hasard si le chanvre inspire le nom de cannebière à la célèbre avenue de Marseille. Jadis, Marseille fut en effet l’un des plus grands comptoirs commerciaux du chanvre en Méditerranée.
Puis arrive le temps de la prohibition. En 1937, la “Marijuana tax Act” promulguée aux Etats Unis taxe la filière, notamment les importations. L’impact est rude sur l’industrie chanvrière européenne. Les exportations outre-Atlantique deviennent de moins en moins intéressantes. La filière française décline sous le poids additionnel de la concurrence du coton et des fibres issues de la pétrochimie dominée par les États Unis. Trois ans après cette taxe, la production, la commercialisation et l’usage du chanvre sont interdit presque partout. En France, cela devient officiel en 1952. Une production sur 700 hectares reste toutefois maintenue pour l’industrie papetière dans l’Aube, c’est le futur noyau du chanvre industriel.
Vers 1988, on comprend mieux le chanvre grâce aux découvertes scientifiques, ce qui permet de rassurer l’opinion. La réhabilitation intervient en France au milieu des années 90, mais elle reste très encadrée. Aujourd’hui, le chanvre connaît une renaissance fulgurante. Il suscite de moins en moins d’hostilité grâce à la découverte d’une multitude d’applications vertueuses.
Plante miracle et relance verte
Réputé écologique en raison de ses multiples bienfaits pour l’environnement, le chanvre devient un partenaire stratégique pour gagner les défis environnementaux. Aucun traitement phytosanitaire (pesticide ni fongicide) n’est requis pour sa culture et ses besoins en eau sont faibles. De plus, il dépollue et améliore la qualité des sols et de l’eau en absorbant les métaux lourds. Il brise ainsi le cycle des maladies. Son bilan carbone est négatif en raison de sa capacité à stocker du CO2 jusqu’à sa récolte. Un hectare de chanvre absorbe autant de CO2 en 8 mois, qu’un hectare de forêt en 1 an et peut apporter jusqu’à 2.500 euros de rendements aux agriculteurs, contre 300 euros pour un hectare de blé. Difficile de faire plus “eco friendly“ !
Un rendement pouvant aller jusqu’à 2.500 euros pour une hectare de chanvre, contre 300 euros pour un hectare de blé
Le chanvre n’est pas qu’un allié avec qui compter pour la relance verte. Il présente plusieurs utilisations pour une multitude de débouchés. Tout est bon dans le chanvre.
Paille, fibre, chènevotte et laine de chanvre : un super matériau. La tige de la plante constitue l’un des principaux produits du chanvre, mais également l’un des plus polyvalents.
– Fibre haut de gamme aux vertus antibactériennes, antifongiques et antiallergiques. La fibre végétale du chanvre produit notoirement d’excellents textiles résistants, antibactériens et agréables au toucher. On l’utilise aussi pour la confection de cordages, de papier, de litières animales, dans les cosmétiques… Il anime une industrie qui fait valoir un savoir-faire et rêve grand avec le développement de la culture.
– Le plastique à base de chanvre, aussi performant que le plastique pétrochimique. Il fait office de polymère naturel et biodégradable utilisable dans plusieurs secteurs comme l’automobile. Ce matériau pourrait mettre fin au désastre écologique lié au plastique pétrochimique.
– Matériau en vogue dans l’écoconstruction. En plus d’être utilisé comme litière pour animaux, le cœur de la tige, ou chènevotte, s’invite dans la construction durable. Il est largement promu dans l’écoconstruction pour ses propriétés isolantes, thermiques comme acoustiques.
Le béton de chanvre préfabriqué source du génie français. Au JO Paris 2024, des bâtiments du village olympique à base de briques de chanvre.
Graine de chanvre riche en protéines végétales et en Oméga 3. Les graines peuvent contenir jusqu’à 35 % de protéines. La farine dérivée rentre aussi bien dans l’alimentation animale qu’humaine. Quant à l’huile de chanvre issue des graines, elle est prisée pour sa richesse en acides gras essentiels. C’est l’une des rares huiles avec un rapport omega 6/omega 3 idéal pour l’homme. Il faut également compter avec les usages cosmétiques de l’huile qui remontent à l’antiquité pour ses vertus nourrissantes, regénérantes.
La fleur de la plante concentre des vertus thérapeutiques et “bien-être“ plébiscitées. Cependant, l’image de la fleur de chanvre associée aux effets psychotropes du tétrahydrocannabinol (THC) pèse toujours sur la transformation de la fleur et l’essor de l’industrie. En effet, d’autres cannabinoïdes sans danger, comme le CBD seul ou combiné au THC et autres cannabinoïdes concentrés dans la fleur, révèlent un potentiel thérapeutique, pharmacologique et économique énorme.
Quant aux feuilles de cannabis ? Elles entrent dans plusieurs recettes alimentaires (boissons ou edible). Tous ces produits sont évidemment compostables.
Une multitude d’usages techniques. Le chanvre révèle bien d’autres applications : parfum, bio-carburants, résine… Il existe plus de 600 produits dérivés brevetés dans le monde.
Plus de 600 produits dérivés du chanvre, brevetés dans le monde
Leader européen du chanvre et 3ème producteur mondial… Et pourtant, pas de quoi faire perdre la tête
En 2020, la culture du chanvre industriel en France occupe 17 900 ha. C’est le tiers de la production européenne et la 3ème production mondiale la plus importante derrière le Canada et la Chine.
Cela dit, la filière française du chanvre reste spécialisée dans l’exploitation de la fibre/paille et la production de la graine de chanvre (chènevis). La filière semence est à ce titre assez dynamique et fait de la France un véritable laboratoire pour la production de variétés saines et performantes.
Quant au Chanvre indien, ou chanvre récréatif associé à la Sativa L, il reste prohibé en raison de ses effets psychotropes. En fait, la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre n’est autorisée que si elle contient moins de 0.2 % de THC. Les variétés autorisées qui réunissent les conditions légales sont listées dans un Arrêté du 22 août 1990.
Du chanvre à – 0.2 % de THC, voilà le chanvre légal en France
Et même ici, l’hostilité de la politique française à l’égard du THC se resserre. Car si la culture du chanvre à -0.2 % est autorisée, les agriculteurs sont tenus de jeter les feuilles et les fleurs qui contiennent le THC. Toute extraction de CBD est interdite.
Le CBD pour une filière du chanvre plus dynamique et concurrentielle à l’international
Le Cannabidiol est la grande révélation de ces dernières années. Après le THC, c’est la deuxième famille de cannabinoïdes la plus présente dans le chanvre. Mais contrairement au THC, le CBD n’a pas d’effet psychotrope et ne présente pas de danger physique ou psychique. Mieux, son potentiel thérapeutique soutenu par les études scientifiques croissantes révèle une kyrielle d’avantages qui en font une alternative naturelle aux traitements médicamenteux. Il serait relaxant, analgésique, antalgique, anti-épileptique ou encore antidépresseur.
Il agit contre les douleurs liées aux menstruations ou à l’endométriose et réduit la consommation de cannabis. L’huile de CBD serait même plus efficace que les stratégies d’autogestion courantes.
En combattant les effets pervers du THC, il lutte contre le stress, la perte de mémoire à court terme et constitue un candidat prometteur contre certaines maladies graves difficilement curables.
Il apparaît comme une évidence que grâce au CBD, la filière s’apprête à connaître une renaissance fulgurante.
Un marché de 3 milliards d’euros d’ici 2026
Bien sûr, il n’a pas fallu longtemps pour associer un potentiel économique conséquent aux promesses thérapeutiques et “bien-être“ du CBD. Selon l’Insee, l’industrie du CBD en France représenterait 2 à 3 milliards d’euros d’ici 2025. 2 milliards d’euros de recettes fiscales sont attendues pour une production de 700 tonnes/an.
Ces prévisions sont bien sûr pulvérisées dans le cadre d’un marché légal où la filière agricole du chanvre approvisionnerait la filière française du CBD. Certains analystes vont jusqu’à aligner le potentiel économique du CBD en France, par rapport au marché américain qui devrait atteindre 30 milliards de dollars d’ici 2026, voire 70 milliards de dollars en 2027.
La branche Commerciale du CBD s’emballe en attendant une dédiabolisation complète du cannabis
Malgré des prévisions mirobolantes sur un marché du CBD en croissance rapide (taux de croissance annuel de 22,2% entre 2019 et 2025), la France reste encore limitée à la commercialisation du CBD étranger. Pourtant la CJUE avait jugé en novembre 2020 que « La France ne peut pas s’opposer à l’importation sur son territoire de produits contenant du CBD… Celui-ci n’étant pas un stupéfiant et ne posant donc pas de problématiques de santé publique ».
En outre, cette situation crée une concurrence déloyale défavorable aux commerçants de CBD français. Cette désapprobation de la position restrictive française était toutefois suffisante pour encourager la floraison de boutiques CBD en France. Près de 400 boutiques de CBD “bien-être“ sont apparues depuis cette décision, soit quatre fois plus qu’avant l’été 2018. Et ça n’arrête pas.
Le marché du CBD génère déjà 150 à 200 millions d’euros (2020) avec un chiffre d’affaire moyen de 400 000 € pour une boutique de CBD.
Aujourd’hui, toute l’attention est suspendue aux retours du gouvernement appelé à répondre à la vingtaine de propositions des députés pour faire bouger la législation sur le cannabis en France. Il s’agit notamment de lever les entraves à l’essor d’une filière française du CBD. L’enjeu est également de capter une manne financière issue de marchés émergents où la France est encore exclue.
La filière chanvre industriel en chiffres clés
▪ 24 variétés de chanvre listées et autorisées
▪ 17 900 ha en 2020 dont 1 800 ha en production de semences
▪ 89 % du poids de la production annuelle destinée à la création de paille/fibre et 11 % dédié à la production de graines
▪ 6 chanvrières
▪ 1500 producteurs
▪ Près de 300 salariés
▪ Trois organisations représentatives : Interchanvre, SPC et UIVEC
Hemp it : Chanvre à part
L’objectif de cette Coopérative de Producteurs de Semences de Chanvre (anciennement CCPCS) est d’approvisionner de façon constante les acteurs français en semences certifiées de chanvre industriel. Et c’est la seule structure en Europe à réaliser de la multiplication de semences de chanvre industriel dans une zone exclusive, ce qui assure un produit fini de très haute qualité. Hemp it a ainsi développé des compétences uniques dans le domaine. La technique dite de « l’épuration » des pieds mâles est ainsi contrôlée par un service de certification, assurant un haut niveau de monoécie (fleurs mâles et femelles sur le même pied). Cette caractéristique monoïque des semences de chanvre françaises est reconnue à ce jour dans le monde entier.
La grande histoire du Chanvre
L’histoire de l’homme est intimement liée à celle du chanvre, et de ce que l’on sait, depuis près de 8000 ans avant J.C. Sans doute originaire des plaines d’Asie centrale, le chanvre traverse les époques, de l’antiquité à nos jours, laissant mille et une traces sur ses utilisations, dans toutes les civilisations ; dans les écrits, sur les poteries, les constructions… On l’utilise pour ses vertus médicinales, pour s’alimenter (ses graines sont consommées comme des céréales), pour faire des vêtements, lors de cérémonies sacrées… 100 ans av. J.C. le premier papier à base de chanvre est inventé en Chine, il arrivera en Europe 12 siècles plus tard. En 1456, Gutenberg imprime la première Bible sur papier de chanvre, comme le sera la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis en 1776. L’exploration du monde se fera par bateau, encore grâce au chanvre. De Christophe Colomb aux conquêtes de l’Ère victorienne, un bateau de taille moyenne nécessite par an, 80 tonnes de chanvre en cordages et 8 tonnes pour les voiles. Au début du XXème siècle, le chanvre est l’une des plantes les plus cultivées au monde.
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