Depuis les cinq dernières années, le marché du CBD connaît une ascension vertigineuse, qui attire toujours plus d’entrepreneurs. Néanmoins, si le cannabidiol peut en effet rapporter gros, mettre le pied dans la filière s’apparente souvent à un véritable parcours du combattant. De l’hostilité des banques et la difficulté de trouver un financement, jusqu’aux saisies et autres embûches administratives relevant parfois du harcèlement, tous les professionnels du CBD ou presque ont parfois âprement bataillé avant d’entrer dans la lumière. Première partie ce mois-ci, avec les multiples déboires bancaires rencontrés par la majorité des négociants en CBD.
« Il n’est si longue épreuve qui ne touche à sa fin », disait François Cavanna, qui invitait ses lecteurs à ne jamais perdre espoir et à persévérer malgré l’adversité. Une maxime que les futurs candidats à l’exploitation du CBD sous toutes ses formes seraient bien inspirés de garder en tête lorsqu’ils se présenteront à la banque pour y ouvrir un compte professionnel, à l’instar de toute entreprise aspirante. Bicente Sanchez en a fait l’amère expérience lorsqu’il a voulu prendre une boutique en franchise et qu’il lui a donc fallu recourir aux banques : « J’avais été prévenu des difficultés rencontrées par la filière pour accéder aux banques, mais j’ai décidé de ne pas tricher sur la nature de mon activité, car certains détaillants avaient vu leurs comptes clôturés quelques mois après leur installation, quand la banque s’était aperçue qu’ils vendaient du CBD. Hélas, mon honnêteté n’a pas été récompensée, puisque j’ai été confronté à un refus systématique des établissements bancaires ayant pignon sur rue, même pour une simple ouverture de compte ! » Une mésaventure que de nombreux acteurs de la filière ont également vécu, même si tous n’ont pas choisi, comme Bicente, de jouer franc jeu, préférant ne pas donner trop de précisions à la banque sollicitée.
Les banques traditionnelles refusent de s’associer au commerce du CBD
Une méthode qui a toutefois ses limites et qui peut même s’avérer rapidement contreproductive, comme en témoigne Stéphane Fischer, gérant de l’entreprise Fischer Store, à Strasbourg : « J’ai créé ma première boutique en 2018 et ouvert un compte au CIC. Comme je n’avais pas précisé dans mes statuts que je vendais du CBD, je n’ai pas eu de problèmes, en tout cas au début. Et puis ma conseillère a fini par avoir des doutes et a fait une demande pour visiter mon magasin, à laquelle je n’ai pas donné suite. Elle a alors carrément bloqué les virements destinés à mes fournisseurs, en exigeant que je lui présente des factures et a fini par découvrir qu’il s’agissait de CBD. Quelque temps après, j’ai reçu un courrier recommandé pour m’annoncer la fermeture du compte dans les soixante jours. » Le constat est général : tous les établissements bancaires traditionnels refusent catégoriquement de s’associer au commerce du CBD sous toutes ses formes, pour des raisons juridiques, mais également éthiques, ce que fustige Mathieu Bersot, directeur de la société Brin d’Herbe : « Certaines banques à qui cela ne pose aucun problème de financer le trafic d’armes international refusent toute affiliation avec le commerce du CBD, parce que cela pourrait nuire à leur image. Cette hypocrisie est vraiment insupportable ! » D’aucuns lui rétorqueraient que le CBD ne génère pas – encore ! – le même volume en termes de rendement et de bénéfices, mais ce serait déborder du cadre de cet article…
Les banques en ligne, roues de secours très provisoires de la filière CBD
Jusqu’à une époque récente, la solution résidait dans le recours aux nombreuses banques en ligne, généralement moins regardantes, mais cela engendre d’autres problèmes difficiles à résoudre : « J’ai contacté des banques en ligne, explique Bicente Sanchez, et j’en ai trouvé plusieurs disposées à m’ouvrir un compte, mais le problème, c’est que j’avais également besoin d’un financement et qu’il fallait être client depuis plus d’un an pour y avoir accès ! » Autre problème, et pas des moindres concernant les banques en ligne, leur dématérialisation très handicapante dans certaines circonstances : « Les banque en ligne sont certes plus conciliantes, mais il est par exemple très difficile d’y déposer des espèces, surtout quand le volume est important. », regrette ainsi Alexandre Courthieu, le boss de CBD Original, qui connaît lui aussi la galère du refus bancaire depuis l’ouverture de sa société. Les banques en ligne présentent encore d’autres inconvénients, comme l’absence de terminaux de paiement et surtout, si elles sont effectivement mieux disposées que les banques physiques, elles n’en constituent pas pour autant une solution fiable et pérenne, comme le signale Ferhat Alakocoglu, fondateur de Weed Paradise, qui revendique plus de 150 franchisés à travers la France : « Depuis environ deux ans, les banques en ligne agissent comme les établissements physiques et ferment les comptes sans prévenir. En seulement trois mois, les comptes que nous avions chez N26, Wise et même Viva Wallet, qui avait pourtant largement démarché la filière CBD ont tous été bloqués. » La difficulté dans ce cas-là est surtout de récupérer les fonds, ces banques étant généralement domiciliées à l’étranger. « Même avec des néobanques a priori plus fiables comme Qonto ou Olky Pro, continue Ferhat, personne ne peut avoir la garantie que les comptes ne feront jamais l’objet d’un blocage ou d’une décision de clôture. Le CBD est vu par la majorité des banques comme un simple dérivé du cannabis, avec les mêmes effets délétères et toutes subissent une forte pression de la MILDECA (voir encadré) qui profite du flou juridique autour du CBD pour délivrer une information préjudiciable à la filière. »
Plus de bio pour le CBD
Depuis le début du mois d’octobre, les agriculteurs producteurs de chanvre ne peuvent plus obtenir de certification bio pour leurs produits. À la suite du jugement rendu par la CJUE dans l’affaire dite “Kanavape“, qui précise que « les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises étaient applicables à l’huile de CBD et qu’une mesure nationale qui interdisait la commercialisation du CBD issu de la plante entière constituait une entrave à la libre circulation » la MILDECA a en effet publié un rectificatif de la législation en vigueur, via la réglementation “Novel Food“ qui, en déclarant le CBD dépourvu “d’historique de consommation“ met fin à la possibilité pour les produits alimentaires CBD d’obtenir le label bio. Les différents organismes de certification biologique (Ecocert, Veritas…) n’ont pas tardé à réagir et ont retiré leur agrémentation bio aux producteurs de la filière qui en bénéficiaient, les condamnant ainsi à cesser la production de produits alimentaires contenant du cannabidiol et entraînant des pertes financières substantielles.
Un seul mot d’ordre, trouver des solutions en attendant l’éclaircie
Face à ce boycott quasi institutionnel, les professionnels du CBD mettent en place les stratégies les plus diverses comme celle adoptée par Alexandre Courthieu depuis son entrée dans la filière et qui consiste à changer régulièrement de banque : « Lorsque nous sollicitons l’ouverture d’un compte, la plupart des banques acceptent sans trop de problème. Et puis trois à quatre mois après en moyenne, nous recevons un avis de clôture du compte, pour des raisons toujours fallacieuses qui ne sont en réalité que des prétextes, comme des vérifications administratives trop onéreuses. À chaque fermeture, nous sommes obligés de démarcher une nouvelle banque, jusqu’au moment où il n’y en aura plus une seule de disponible… » Certains, comme Mathieu Bersot, ont eu un peu plus de chance et n’ont pas subi de fermeture, malgré un mensonge tout à fait volontaire sur la nature de son commerce : « J’ai carrément prétendu que je ne faisais pas de CBD. La banque a appris par la suite que j’avais menti, mais n’a pas pour autant clôturé mon compte. En revanche, je me fais matraquer au niveau des frais et la banque refuse catégoriquement de m’accorder le moindre financement, malgré un chiffre d’affaires conséquent. » Détaillant dans l’Ain, Julien Valéry a pu lui aussi ouvrir un compte dans une banque traditionnelle, avec une aide extérieure précieuse : « J’ai eu beaucoup de problèmes, mais pas avec la banque, grâce à l’appui du directeur de la société CBD’Eau dont je suis l’un des franchisés et qui a négocié avec sa propre banque pour qu’elle m’ouvre un compte. » Du côté de Weed Paradise, d’âpres négociations sont en cours avec une banque traditionnelle et Ferhat Alakocoglu ne désespère pas de trouver un accord en arguant d’un chiffre d’affaires substanciel et en présentant un dossier parfaitement verrouillé. Néanmoins, tout comme Alexandre Courthieu, Ferhat recommande aux nouveaux venus de ne pas abandonner la partie et de se tourner en dernier recours vers la banque de France : « Avec mon expérience, si j’ai un conseil à donner aux entrepreneurs en difficulté, c’est de s’adresser directement à la banque de France qui désignera un établissement, avec obligation d’ouverture d’un compte à la société concernée. Certes, les services seront réduits, mais cela permettra d’encaisser des chèques et des virements, au minimum. »
Casser sa tirelire, le prix de la liberté d’entreprendre
La meilleure solution reste néanmoins l’ouverture en fonds propres, ce qui n’est hélas pas donné à tout le monde. Bicente Sanchez, qui avait tout laissé derrière lui pour se consacrer au commerce du CBD sans parvenir à trouver de solution de financement, a finalement recommencé à travailler afin de mettre de l’argent de côté. En contractant en plus un crédit à la consommation, il pense pouvoir enfin démarrer son activité de franchisé CBD au début de l’année prochaine. Les plus heureux finalement, sont ceux qui ont trouvé les financements ailleurs, là où les banques ne souffrent pas de douloureux problèmes déontologiques, à l’instar de Ludovic Loffreda, l’un des fondateurs d’Hemperious à qui nous donnons le dernier mot : « Nous avons débuté nos activités au Portugal où la loi est beaucoup plus claire. Il y a là-bas un organisme de régulation nommé Inframed, qui nous permet d’évoluer dans un cadre légal précis et les banques n’opposent aucune difficulté à nos demandes de financement. Nous avons pu ainsi emprunter sans problèmes plusieurs millions d’euros pour structurer notre entreprise. » De là à réserver son billet pour Lisbonne ou Porto, il n’y a qu’un tout petit pas…
L’avis de Charles Morel
Avocat pénaliste et Président de l’UPCBD, Charles Morel avait son mot à dire sur le sujet : « Compte tenu de la réticence des banques à ouvrir un compte pour les commerces spécialisés de produits CBD malgré la légalité désormais établie de ce cannabinoïde, il est préférable de ne pas mentionner le terme CBD dans l’objet social de la société au moment de la création mais plutôt les catégories de produits concernées (huiles, crèmes, aliments ou compléments alimentaires…). Cette recommandation est valable lorsque la banque n’exclut pas expressément dans ses conditions générales le commerce des produits CBD. »
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