Missions d’informations, expérimentations médicales, consultations citoyennes…, la France est bien en marche sur la (longue ?) route de la légalisation du cannabis. Peut-être pourrions-nous trouver quelques éléments de réponse à nos interrogations, du côté de nos cousins canadiens ? Faisons le point sur le modèle au Canada.
Le 17 octobre 2018, le Canada devenait le 1er pays du G7 à légaliser le cannabis sur son territoire. On parle ici de l’aspect « récréatif » de la substance. En 1996, la réglementation avait distingué le cannabis du chanvre. Ce dernier n’étant pas psychoactif, il avait été jugé légal pour le bien-être général. Et en 2001, le cannabis à usage thérapeutique était lui aussi légalisé, sous contrôle des autorités de santé.
Comme partout ailleurs, le cannabis dit « récréatif » prête un peu plus à polémiques et prend donc plus de temps à trouver la grâce des législateurs. Dans le cas présent, le principal argument qui a fait pencher la balance est l’inefficacité des lois précédentes à endiguer les trafics illégaux et à contrôler la consommation. Des milliards de dollars ont été dépensés par l’état canadien ces dernières années, sans qu’il y ait eu la moindre baisse significative de la consommation ! La Commission Mondiale sur la Politique des Drogues a même démontré que les marchés illégaux et violents étaient le résultat incontournable du caractère illégal du cannabis. Justin Trudeau a fait de la légalisation du cannabis un élément clé de son programme lors de sa campagne électorale fédérale, avec les résultats que l’on connaît.
Législation : le modèle au Canada
Bien que la vague de légalisations, de ce côté-ci de l’Atlantique, soit loin d’être une totale réussite, elle a au moins le mérite d’avoir ouvert les portes sur une nouvelle expérience, tant économique que sociétale, et d’offrir une mine de renseignements. Une occasion donnée aux dirigeants de l’Union Européenne de combler le retard pris dans ces recherches afin de développer de nouvelles industries du cannabis en Europe. Pour l’heure, le Luxembourg est le premier pays européen à avoir adopté le modèle canadien en matière de cannabis. Et cela part d’un même constat. Selon Etienne Schneider, le ministre de la Santé Luxembourgeois ; « La législation sur la drogue que nous appliquons depuis 50 ans n’a eu aucun effet, car interdire les produits n’a fait que les rendre plus attrayants pour les jeunes… ». La légalisation devient donc une alternative avec un objectif principal, enlever le contrôle de la production et de l’approvisionnement aux trafiquants.
Mais depuis, le Covid est passé par là et le processus de légalisation tarde à se mettre en place. Il n’y a guère que la taxation sur le CBD qui ait changé. Depuis 2020, le Luxembourg taxe le cannabidiol comme les cigarettes ; 33% par gramme revient désormais à l’Etat, en plus des 17% de TVA.
Comprendre le modèle au Canada
Mais pour prendre en considération un modèle comme celui du Canada, il convient d’abord de tenir compte de ses particularités. Avec ses 38 millions d’habitants répartis sur un territoire grand comme 10 fois la France et ses 10 Provinces gérées selon un système fédéral, le Canada s’avère être un exemple singulier pour l’Europe. L’application de ses lois, notamment sur le cannabis, pouvant différer dans la finalité selon les Provinces concernées.
La loi sur le cannabis, qui a ouvert la voie à une large légalisation, stipulait que les dirigeants des provinces pouvaient toujours maintenir l’illégalité du cannabis au niveau local. Cela a permis aux États les plus conservateurs de maintenir leur position sur le produit tout en laissant les autres États, plus libéraux, se lancer dans l’aventure. Si une province continuait à interdire le cannabis, les acheteurs intéressés se voyaient également proposer un site web géré par le gouvernement, à partir duquel ils pouvaient commander du cannabis. Le raisonnement qui sous-tendait cette mesure était que le fait de maintenir à la disposition des utilisateurs un flux unique de cannabis soutenu par le gouvernement fédéral continuerait à limiter les ventes sur le marché noir. Les dirigeants de la province peuvent ainsi sauver la face et représenter leurs électeurs conservateurs, tandis que le pays limite la vente de cannabis illégal. Une situation gagnant-gagnant.
Une comparaison rapide avec les États-Unis permet d’approfondir l’analyse.
Contrairement au Canada, aux États-Unis, chaque État est responsable de la légalisation du cannabis sur son territoire, en accord avec les valeurs américaines de souveraineté individuelle. La législation dans des États du sud, comme le Mississippi ou l’Alabama, vaut tout autant que celle des États de Washington ou de Californie, où le cannabis récréatif est légal.
Permettre aux gouverneurs des États de diriger leurs communautés évite également aux pouvoirs fédéraux d’avoir à prendre des décisions imprécises basées sur des cultures locales qu’ils ne comprennent peut-être pas. Dans cette configuration, le gouvernement fédéral doit seulement surveiller la façon dont le cannabis circule entre les États. Et il n’intervient que dans ce cadre.
On peut considérer ces deux formes de gouvernance comme une approche flexible du haut vers le bas, par opposition à un mouvement plus identitaire. Pour l’Europe, et sa jeune union, le modèle pourrait ressembler beaucoup plus à ce qui se passe aux États-Unis. Bien que chaque pays évolue à des vitesses différentes, il est probable qu’ils continueront à le faire sans une direction claire de la Commission européenne.
Alexandra Curley, responsable des perspectives chez Prohibition Partners, a conclu que : « D’un point de vue réglementaire, l’Europe ressemble aux États-Unis par son patchwork de réglementations incohérentes ».
Ce patchwork pose également divers problèmes aux entreprises dans chaque État. En l’absence de règles claires sur le cannabidiol, le secteur sera en difficulté, tant au niveau des chaînes d’approvisionnement, que des difficultés des startup du cannabis à s’appuyer sur les services financiers traditionnels.
Mais continuer à se concentrer sur les faux pas du Canada pourrait contribuer à corriger certains de ces problèmes.
Comment l’Europe peut améliorer le modèle au canada ?
Depuis 2018, les problèmes d’approvisionnement sont au cœur du process canadien. D’une part, les pénuries étaient courantes au début, car le gouvernement fédéral a mis du temps à distribuer des licences. Et ce n’est qu’avec une licence que les provinces pouvaient entamer la distribution et la vente au détail. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les provinces ont avancé à des rythmes différents. Les Canadiens de la Nouvelle-Écosse, par exemple, ont été parmi les premiers clients servis. Cette différence dans la rapidité du service est également liée à des modèles privés et publics distincts. L’Ontario permet au secteur privé de s’occuper des ventes, tandis que les détaillants de la Nouvelle-Écosse sont tous exploités par l’État.
Ces pénuries ont rapidement freiné l’enthousiasme dans tout le pays. Mais comme la demande de cannabis légal et de licences n’a jamais faibli, les cultivateurs admissibles ont commencé à surproduire. Rapidement, les entreprises se sont plaintes de l’offre excédentaire et des prix bas pour des fleurs de haute qualité. On a même signalé que des cultivateurs canadiens avaient brûlé leurs stocks pour contribuer à améliorer le marché.
Cependant, entre la pénurie et la surproduction, l’industrie du cannabis a connu un véritable boom. C’est à cette époque que les prix des actions sont montés en flèche.
Les législateurs européens et les entreprises de cannabis ont beaucoup à apprendre de ces différentes phases.
Tout d’abord, l’offre doit évoluer au même rythme que la demande. Bien qu’il y ait des pénuries de cannabis médical en Europe, au détriment de nombreux patients, des fournisseurs comme Bedrocan en Hollande réagissent en conséquence.
Pour améliorer ce processus, les États membres devraient plutôt aider les fournisseurs de cannabis locaux, plutôt que de dépendre des Pays-Bas. Il en résultera une plus grande souplesse pour répondre à la demande de cannabis d’une clientèle locale qui ne cesse d’augmenter. En suivant activement cette demande, les pays éviteront également les pièges de l’offre excédentaire. Le développement d’une filière Chanvre pérenne s’avère comme une nécessité.
Enfin, les entreprises qui se trouvent dans les affres de la prochaine ruée vers l’or vert en Europe doivent garder à l’esprit les principes commerciaux de base. L’ancien président de Bacardi Canada, Rob McPherson, s’est exprimé à ce sujet dans une interview sur l’industrie canadienne du cannabis.
De nombreux experts ont comparé le cannabis au marché de la bière, du vin et des spiritueux. Mais comme le rappelle McPherson, peu importe « qu’il s’agisse de cannabis, de café ou de canoës, il y a des bases et des principes fondamentaux qui s’appliquent aux affaires. Beaucoup d’entreprises du cannabis pensent que ce marché est magique, mystique et différent, alors que ce n’est pas le cas ».
En conclusion, bien que le marché européen du cannabis soit encore très jeune, il est essentiel de comprendre la dynamique des marchés plus matures. Comme notamment le modèle du Canada ou des États-Unis. Des législateurs aux entrepreneurs, chacun a quelque chose à apprendre de ces pays.
Sans une compréhension culturelle nuancée de l’histoire de l’Europe et de l’Amérique du Nord et du rôle de chaque pays dans cette histoire, il sera difficile de tisser des liens économiques équitables et de développer dans les meilleures conditions une industrie qui parait désormais globale.
BIG BUSINE$$
Tilray, Aurora, Canopy Growth, Cronos… Ces noms ne vous disent sans doute rien, ce sont pourtant les noms des principales sociétés multinationales du chanvre au Canada. Dès la légalisation amorcée, leurs cotations boursières ont littéralement explosé, attirant dans leur capital des multinationales du domaine pharmaceutique, cigarettiers et autres. Canopy, le leader mondial du secteur, annonçait un chiffre d’affaire record de 152 millions d’euros dès sa première année de production. Côté américain, et dans la perspective où Washington va finir par lever l’interdiction fédérale sur le cannabis, les ventes auront doublé de 2018 à 2022, passant de 13 à 33 milliards de dollars.
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