Débat d’idées sur la légalisation du cannabis entre deux députés du parti présidentiel (LREM)… Caroline Janvier, rapporteure du volet « récréatif » de la Mission parlementaire sur le cannabis et Remi Delatte, membre de la même Mission parlementaire, échangent mais pas forcément à l’unisson. Les mêmes questions pour les deux élu.e.s mais des opinions qui divergent, un peu, beaucoup… Jugez-en par vous-même !
On parle de plus de 230.000 personnes qui vivraient du trafic illégal de cannabis et d’une légalisation qui engendrerait un véritable « chaos social » !
Nos dirigeants successifs auraient-ils botté en touche pour s’acheter une paix sociale ?
Caroline Janvier : D’une certaine façon oui, par crainte qu’une proposition de légaliser ou de dépénaliser soit interprétée comme un recul et une banalisation du cannabis. Défendre une légalisation encadrée comme un moyen de reprendre le contrôle et de réguler production, distribution et consommation est plus complexe à défendre que l’interdit et la condamnation morale.
Remi Delatte : Botté en touche, je le pense, et ce quelles que soient les majorités. Est-ce pour acheter la paix sociale ? Je n’irais pas jusque-là. Je pense qu’il s’est agi, mandat après mandat, d’une difficulté certaine à poser le sujet dans le débat public de manière sereine, apaisée et dépassionnée. L’accélération de l’information et des faits divers qu’elle relate, comme l’émergence du CBD et les débats autour de sa licéité, ont probablement précipité ce moment où les responsables politiques ne peuvent se permettre le moindre refus d’obstacle.
Que pensez-vous du système répressif français : inefficace ou pas assez soutenu ?
CJ : Il n’est en réalité pas appliqué, qui fait un an de prison pour avoir consommé du cannabis ? C’est tout le problème de notre système, son hypocrisie et son inadéquation avec la réalité.
RD : Assurément, il n’est plus adapté, si tant est qu’il l’ait été. Je pense que le volet répressif d’une politique liée aux stupéfiants, quels qu’ils soient, est indispensable. Pour autant, il n’est pas suffisant, et doit par ailleurs rester adapté aux réalités : on ne saurait imaginer augmenter sans cesse le quantum des peines encourues ni enchaîner les déclarations martiales sans se soucier de l’applicabilité des mesures. Par ailleurs, s’est-on vraiment donné tous les moyens d’appliquer le dispositif répressif actuel ? Je n’en suis pas sûr.
Dans l’hypothèse d’une avancée vers la dépénalisation du cannabis, dans quel ordre, sous quelles formes, verriez-vous cela se mettre en place ?
CJ : Nous avons fait un certain nombre de propositions dans notre rapport, sur l’autoproduction, l’interdiction de la publicité ou encore les taux te THC. Ce qui me semble important c’est de mettre en avant l’objectif sanitaire et donc de réduire les consommations à risques pour laquelle la France est également en haut du podium : consommation des jeunes, fréquence de consommation, avec les impacts que l’on connaît sur le cerveau, sur les risques de décrochage scolaire ou de troubles psychiatriques. Pour y remédier il faut mettre en place une vraie politique de prévention et de santé publique et donc que l’État contrôle de près ce qui peut être produit, les lieux de vente et l’âge des consommateurs. Au Canada par exemple, une peine de 14 ans de prison est prévue en cas de vente de cannabis aux mineurs.
RD : D’abord, je pense que cela doit être mené à l’issue d’un grand débat national, comme l’a annoncé le Président de la République… mais dont on attend encore qu’il en précise les contours ! C’est toute la société qui doit se saisir de ce sujet, mais sans solution « magique » ou idée préconçue. Les spécialistes, les associations, le grand public : il faut assumer la controverse, dans le respect, pour faire émerger une solution consensuelle, à la hauteur des enjeux. Sur le modèle des travaux de notre Mission d’Information Commune à l’Assemblée Nationale, il m’apparaît important de procéder par étapes, en traitant en premier lieu le sujet du cannabis thérapeutique, le moins sujet à fantasmes, et sur lequel on sent une véritable maturité de la société.
Selon cette même hypothèse, et même avec une vente légale « régulée », ne pensez-vous pas que les consommateurs continueraient à se fournir sur le marché noir ?
CJ : C’est l’autre objectif, qui vient après à mon avis, assécher le marché noir. Il ne sera pas possible de l’assécher complètement si l’on veut atteindre cet objectif sanitaire, car sinon il faudrait un marché complètement dérégulé pour qu’il concurrence en qualité, quantité et prix, le marché noir. Néanmoins, beaucoup de consommateurs préféreront acheter des produits tracés, légaux et dont ils connaissent la composition exacte et les effets.
RD : Je tiens d’abord à préciser que j’y suis, pour ma part, totalement opposé, ce qui m’avait amené à me désolidariser du troisième rapport de la Mission d’Information, dont chacun a pu constater qu’il s’avançait un peu trop sur les solutions à apporter à la question du cannabis récréatif. Je suis mesuré sur les effets de la légalisation quant aux trafics : les chiffres qui peuvent être annoncés relativement à d’autres pays doivent être accueillis avec prudence, notamment à cause des faits culturels importants à prendre en compte, et qui ne sont pas les mêmes entre le Canada, l’Amérique du Nord, et nos pays européens.
Quel modèle à l’étranger serait le plus adapté à la France ?
CJ : Celui du Canada dont l’objectif est clairement sanitaire et où la légalisation a permis justement de faire baisser la consommation des 15-17 ans.
RD : Par principe, je n’imagine pas dupliquer un modèle étranger à notre pays. Le modèle le plus adapté doit être celui qui émergera de la société, après un débat mené en toute humilité et objectivité.
D’accord avec Emmanuel Macron quand il dit que les consommateurs sont « complices » ?
CJ : Forcément, à partir du moment où il s’agit d’un produit illicite. Maintenant qu’est ce qui est le plus efficace, appliquer la loi et emprisonner les 5 millions de consommateurs occasionnels, ou réfléchir à un changement de modèle ?
RD : Nous sommes habitués aux mots « chocs ». Il y a bien sûr, de fait, une alimentation des réseaux, notamment de criminalité voire du terrorisme, par l’argent de la consommation de drogue au travers des trafics. Il faut, en effet, le dire et le rappeler aux consommateurs. Pour autant, il faudra davantage que la stigmatisation pour régler durablement le problème, ce qui exige également un volet prévention, particulièrement à destination des plus jeunes, quant aux conséquences sociales et médicales de la consommation.
Selon de nombreux spécialistes, les fleurs (CBD) seraient une alternative pour se sevrer du cannabis (THC). Vous êtes d’accord avec cela ?
CJ : C’est en effet ce que j’ai pu lire, pour une partie, pas la totalité des consommateurs néanmoins.
RD : Je n’ai pas de raison de douter des spécialistes : je ne fais pas partie de ces responsables politiques qui jouent les médecins ou les scientifiques. J’entends d’ailleurs certains consommateurs qui ont fait cette démarche du sevrage par la substitution du CBD au cannabis. Pour autant, je suis attentif aux alertes d’autres spécialistes quant au recul relativement faible dont nous disposons à l’heure actuelle.
Que pensez-vous de l’argument qui explique qu’en légalisant le cannabis, les trafiquants se tourneront vers d’autres drogues ?
CJ : Ce ne sont pas du tout les mêmes niveaux de consommation et c’est la demande de drogue qui engendre le trafic, pas l’inverse. Donc oui bien sûr, les trafiquants, les têtes de réseau du moins, se tourneront vers d’autres activités frauduleuses et il n’en manque malheureusement pas, mais ils perdront un secteur particulièrement lucratif et important en volume.
RD : Les sommes colossales qui alimentent les trafics et leurs ramifications, notamment au travers des grands réseaux criminels, impliquent forcément une adaptation de ceux-ci aux évolutions du marché des stupéfiants. Il faut donc mettre tous les moyens en oeuvre pour remonter et démanteler les chaînes de ces réseaux : sur ce sujet, le « quoi qu’il en coûte » serait opportun !
Deux théories : le cannabis est une passerelle vers d’autres drogues ou bien, c’est le contact avec les dealers qui peut amener le consommateur à expérimenter d’autres substances. Laquelle choisissez-vous ?
CJ : Ce que vous disent les experts, c’est que la « théorie de l’escalade » popularisée dans les années 90 est fausse : consommer du cannabis est le premier pas vers une consommation de drogues plus dures. A l’inverse en effet, les dealers sont de plus en plus polyvalents et vont proposer à leurs clients d’essayer d’autres produits donc c’est bien le cadre actuel qui favorise éventuellement l’expérimentation de plusieurs substances.
RD : Là encore, je pense que les préjugés sont mortifères, dans un cas comme dans l’autre. On n’a jamais démontré d’effet de « glissement obligatoire » vers d’autres drogues, plus dures notamment. Pour autant, on ne peut nier que la levée d’un interdit amène chez certains individus la recherche d’un autre interdit à enfreindre. D’où ma conviction que rien ne se fera sans prévention, comme notre pays en a besoin sur toutes les substances addictives.
À fortiori, si une substance devient légale, ceux qui vivent de son commerce chercheront d’autres sources lucratives et donc à faire circuler d’autres drogues. D’où l’importance de la mobilisation répressive que j’évoquais à l’instant.
Le Professeur Dantzenberg comparait « Le cannabis aujourd’hui en France, à l’alcool frelaté du temps de la prohibition ». Peut-on faire des parallèles entre alcool et tabac, et cannabis ?
CJ : Tout à fait. Ce sont des substances psychoactives, qui tuent s’agissant du tabac (75 000 morts par an) et de l’alcool (40 000 morts par an) et pour lesquels la puissance publique se doit de prendre toute sa place pour en limiter les dangers. Et de la même façon qu’interdire le tabac ou l’alcool n’aboutirait qu’à créer des nuisances supplémentaires (criminalité, substances frelatées, vente aux mineurs et personnes vulnérables, etc.), l’interdiction du cannabis ne permet, malheureusement pas, de régler les difficultés.
RD : Comparaison n’est pas raison. Et je me méfie des comparaisons qui glissent vite vers le relativisme, à éviter absolument sur cette question, qui appelle des inspirations scientifiques, médicales, mais aussi liées au cadre juridique, certains diraient « moral », que veut se donner la société.
Croyez-vous aux effets thérapeutiques du cannabis/CBD ?
CJ : Ils sont avérés s’agissant notamment du soulagement de la douleur, donc il ne s’agit pas de croyance. Certains pays, je pense notamment à Israël, ont développé depuis de longues années l’usage thérapeutique du cannabis.
RD : La communauté scientifique tend à devenir de plus en plus consensuelle sur ces questions et je pense, à titre personnel, que la société est prête pour ouvrir, sans précipitation mais à court terme, l’expérimentation de l’autorisation du cannabis à visée thérapeutique.
Avez-vous vous-même essayé le CBD ? Si oui, sous quelle forme et pour quel effet recherché ?
CJ : Oui une fois sous forme d’huile pour constater l’effet relaxant.
RD : Jamais. J’en suis plutôt fier.
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