Bien connu des producteurs français de chanvre CBD, Jouany Chatoux est un agriculteur engagé, coryphée de sa ferme bio de Pigerolles, dans la Creuse, mais aussi de ses confrères dont il défend la cause avec une remarquable obstination. Il revient pour nous sur son parcours et évoque avec son franc-parler réjouissant, les difficultés de la filière hexagonale du CBD.
Parlez-nous de votre parcours et de ce qui vous a conduit au cannabis ?
Je suis agriculteur depuis 23 ans sur le plateau de Millevaches, dans la Creuse, et j’ai une ferme polyculture d’élevage de vaches et brebis limousines et de porcs. C’est une ferme très orientée vers l’innovation, la recherche et le développement et en 2016, nous avons installé une méthanisation pour valoriser les déchets et faire de l’électricité. Peu après, dans le cadre du Plan Particulier pour la Creuse, nous avons eu l’opportunité de monter une filière de cannabis thérapeutique ou bien-être et je me suis tout de suite montré très intéressé.
L’idée de cultiver du cannabis vous séduisait ?
En fait, j’y ai d’abord vu une opportunité économique de diversification et de création de valeur ajoutée, en particulier sur le bien-être. Le fait d’avoir un méthaniseur était un gros avantage, car il était accompagné d’un séchoir, qui permet de traiter des volumes conséquents de matière végétale à moindre coût. La production de chanvre me permettait également d’optimiser ma valorisation de chaleur et d’envisager une culture à grande échelle.
Vous êtes l’un des fondateurs de l’AFPC et son porte-parole. Comment est née cette association et à quels besoins répondait-elle ?
Nous sommes passés très tôt dans le militantisme, dès que nous nous sommes heurtés à des problèmes législatifs et administratifs. La différence, c’est que nous exercions en Creuse dans le cadre d’un projet officiel, ce qui nous a permis d’aller plus loin dans nos actions. Nous avons également pu compter sur le soutien de Jean-Baptiste Moreau, le député de la Creuse, et commencer ainsi à produire, mais pas à transformer, à cause des problèmes judiciaires que rencontrait la filière CBD. Nous avons attendu le jugement de la CJUE dans l’affaire Kanavape, en novembre 2020, pour débuter la transformation. Le chanvre étant une plante écologique par excellence, cela nous paraissait aberrant de ne pas pousser la transformation en circuit labellisé bio, mais en fait, il a fallu se battre pendant plus d’un an avec Ecocert, pour obtenir la certification des produits transformés. Ils avaient la pression de l’État afin de ne pas labelliser le chanvre contenant du CBD, même en respectant tous les critères. Toutes ces problématiques nous ont amenés à monter un syndicat agricole spécifique pour les producteurs de cannabinoïdes. Il existait déjà le SPC mais il lui manquait une dimension agricole et militante avec des actions concrètes et pas uniquement des discussions de salon.
Quelles sont les prérogatives de votre association ?
Nous sommes un syndicat agricole qui défend les intérêts des producteurs de cannabinoïdes français par rapport à l’État et aux institutions, mais également aux autres opérateurs de la filière comme l’UIVEC et Interchanvre, qui sont pour nous des adversaires. Avec le SPC et l’UPCBD en revanche, nous sommes complémentaires et nous avons décidé de créer une intersyndicale afin de peser réellement dans la balance. Depuis l’affaire Kanavape, il n’y a aucun dialogue avec les autorités et la MILDECA qui refusent clairement de nous identifier comme des interlocuteurs légitimes. Pour eux, la seule voix légitime est celle d’Interchanvre, la fédération historique de la filière industrielle qui pèse plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires, alors qu’ils sont tout simplement incompétents sur le sujet du CBD.
Vous voulez dire que l’État est mal conseillé ?
Clairement. Il y a d’un côté Interchanvre qui a peur et fait donc n’importe quoi et de l’autre l’UIVEC qui est sur un positionnement purement économique et veut gérer toute la filière. Il faut savoir que ce sont eux qui ont rédigé l’arrêté de décembre 2021 qui est en réalité une mainmise sur le marché. Leur but est d’interdire les extraits naturels, les fleurs et de facto tous les produits biologiques, au profit d’une politique moléculaire. Plus clairement, l’agriculteur n’aurait pas le droit de semer s’il n’a pas un contrat de rachat passé avec un industriel. Une fois le contrat passé, on lui imposerait les semences, l’itinéraire cultural, on l’autoriserait à récolter, mais sans avoir le droit de à toucher à la matière !
Voyez-vous un espoir du côté de la législation européenne ?
Là c’est le grand flou. La France a un poids énorme sur les instances européennes et exerce une très forte pression pour que rien ne bouge. Cela ne nous laisse aucune chance face à la concurrence de l’Union, où certains pays sont subventionnés à 80 % pour l’achat de machines et d’équipements, avec une main d’œuvre beaucoup moins chère qu’en France. Le seul moyen que nous aurions de nous en sortir est de créer une filière française bio hyper qualitative, un peu comme le vin ou le fromage. De toute façon, on ne peut pas être compétitif en France sur du volume, économiquement, tout cela n’a aucun sens. Les députés l’avaient bien compris dans un rapport parlementaire que le gouvernement s’est empressé d’enterrer.
Comment expliquez-vous cette hostilité du gouvernement envers le CBD ?
Il y a deux choses. D’abord le positionnement d’un certain nombre de décideurs qui peut paraître idéologique, mais qui est selon moi essentiellement politique et démagogique, notamment dans le cadre électoral actuel. Ensuite, les industriels avec l’UIVEC qui appuient l’interdiction de la fleur afin d’imposer la molécule et leur monopole sur l’extraction. Bon, concrètement, ça fait cinq ans que l’État échoue dans ses tentatives d’interdiction, par les voix des cours de justice, du conseil d’Etat ou du conseil constitutionnel. C’est l’avantage des mauvais conseils que leur donnent l’UIVEC et Interchanvre qui n’y connaissent rien !
Quelle serait pour vous la solution idéale ?
Nous avons fait déjà un gros travail auprès de l’opinion publique qui va probablement jouer un rôle important dans les décisions à venir, tout comme certains pays européens qui planchent actuellement sur la légalisation du cannabis récréatif, ou encore le CESE qui prépare un rapport sur les opportunités du cannabis thérapeutique. Il faut que l’État prenne conscience qu’il ne peut pas aller contre quelque chose d’inéluctable. Ce que nous demandons, c’est de réunir autour d’une table notre intersyndicale et tous les autres acteurs, afin de construire ensemble la filière. Nous voulons des règles et nous voulons qu’elles soient applicables et permettent le développement d’une filière qualitative et libre, dans le respect des producteurs et avec une juste répartition des marges.
« L’État doit prendre conscience qu’il ne peut pas aller contre quelque chose d’inéluctable »
Lexique des sigles et acronymes
AFPC : Association Française des Producteurs de Cannabinoïdes. https://lafpc.fr
CESE : Conseil Économique Social et Environnemental.
CJUE : Cour de Justice de l’Union Européenne.
MILDECA : Mission Interministérielle de Lutte Contre les Drogues et les Conduites Addictives.
SPC : Syndicat Interprofessionnel du Chanvre.
UPCBD : Union des Professionnels du CBD.
UIVEC : Union des Industriels pour la Valorisation des Extraits de Chanvre.
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