Poursuivant sa route vers la reconnaissance, le CBD s’invite désormais dans les pharmacies françaises. Une percée timidement entérinée voilà un peu moins de deux ans, mais qui s’accélère nettement depuis quelques mois et semble rencontrer un accueil toujours plus favorable auprès des professionnels du médicament. Il demeure néanmoins un certain nombre d’obstacles à franchir avant que le cannabidiol ne se généralise dans les officines et notamment des clarifications dans les domaines juridique et médical.
Le CBD dans les pharmacies, un peu d’histoire
Les vertus thérapeutiques du CBD étant régulièrement vantées par sa filière et au-delà, par divers acteurs médicaux et paramédicaux, sa distribution en pharmacie paraît donc aller de soi et l’on assiste d’ailleurs depuis le printemps dernier à son développement accéléré dans les officines françaises. Une tendance amorcée au début de l’année 2020, mais qui a suscité au départ quelques réserves, comme nous l’apprend Stéphane, chargé de la communication chez CIDS : « Nous sommes la première entreprise spécialisée dans le CBD à avoir démarché les pharmacies, voilà bientôt un an et demi et nous fournissons aujourd’hui plus de 600 pharmacies à travers la France, avec les produits de notre gamme Stilla. Cela n’a pas été très facile, parce qu’il a fallu convaincre des professionnels médicaux globalement très frileux, dont beaucoup pensaient que la loi ne les autorisait pas à vendre du CBD dans leurs pharmacies. » Une crainte en partie fondée, puisque aucune loi n’autorise en effet les pharmaciens à vendre spécifiquement des produits à base de CBD, qui n’apparaissent pas en tant que tels dans la liste des marchandises autorisées à la vente dans les officines, établie par un arrêté du 15 février 2002 et modifié le 14 juin 2021. Le CBD n’ayant non plus aucun statut thérapeutique, à l’exception de deux médicaments (voir encadré), il a bien fallu trouver une parade pour qu’il puisse accéder aux rayonnages des pharmacies : « En réalité, rien n’interdit aux pharmacies de vendre du CBD et rien ne les y autorise, nous sommes dans un flou juridique, explique Stéphane. Comme il faut que le produit soit dans la liste officielle, nous présentons simplement nos huiles et nos dérivés comme des compléments alimentaires, que les pharmaciens ont le droit de vendre. ». Si ce statut permet en effet l’accès d’un certain nombre de produits dérivés aux officines, il n’en reste pas moins assez fragile, dans la mesure où le CBD est considéré par la législation européenne comme un « nouvel aliment » (novel food). Chaque nouveau produit en contenant doit donc être approuvé par l’Autorité européenne de Sécurité des Aliments (EFSA), ce qui n’est absolument pas le cas, comme le confirme Stéphane, également vice-président du Syndicat professionnel du Chanvre (SPC) : « En réalité, le novel food est totalement suspendu. L’EFSA et l’AFSSAPS (Agence française de Sécurité sanitaire) sont toujours en pourparlers et rien ne bouge, alors que nous avons cruellement besoin d’avancer sur ce dossier, afin de pouvoir distribuer le CBD en pharmacie dans un cadre juridique clair. »
Actuellement, la vente de CBD en officine ne dépend que du bon vouloir des pharmaciens
Pharmacienne à Nantes, Sabine vend des huiles CBD depuis environ huit mois, mais il lui a fallu le temps de la réflexion avant de se décider : « J’ai été démarchée dans ma boutique en tout début d’année par une société de distribution. En fait, je n’avais pas vraiment de connaissances sur le CBD, car l’étude des cannabinoïdes est peu abordée dans le cadre de notre formation et je me suis montrée assez réticente, malgré l’enthousiasme du représentant et ses explications plutôt convaincantes. Sur le plan commercial, j’avais déjà eu des demandes de clients pour du CBD, mais trop rarement pour faire basculer ma décision. » Néanmoins, Sabine ne ferme pas la porte et décide de se renseigner davantage sur le CBD, ses vertus, ses éventuels effets secondaires et plus spécifiquement sur les huiles proposées par le représentant qui lui a rendu visite, leur qualité et leur traçabilité. C’est elle-même, finalement, qui le recontacte pour un nouvel entretien, cette fois-ci plus concluant, puisque Sabine passe une première commande pour des huiles bio à spectre large : « Au départ, je suis restée prudente, parce que je ne me voyais pas proposer à mes clients des produits contenant du THC et je n’étais pas tranquille par rapport à la législation. J’avais également entendu parler de collègues qui vendaient du CBD et avaient reçu la visite de la DGCCRF (répression des fraudes). En fait, je n’ai pas rencontré le moindre problème à ce jour et les huiles se vendent bien. La plupart des patients qui l’utilisent ont plus de cinquante ans et souffrent de problèmes articulaires ou osseux, des polyarthrites, parfois des neuropathies, mais plus rarement. J’ai eu un peu de mal en revanche avec la posologie, parce qu’il faut clairement tâtonner selon la sensibilité des patients et leur réceptivité au produit. » Depuis, Sabine a élargi son offre et propose également des huiles à spectre complet, sans avoir eu à affronter de réticences, simplement en donnant les bons conseils.
Le CBD souffre entre autres d’une carence en preuves scientifiques sur ses effets bénéfiques
Pour autant, l’accueil en officine n’est pas toujours aussi favorable, le CBD demeurant un produit non validé par la science, comme le souligne Nicolas Authier, professeur de pharmacologie, et chef de service de pharmacologie et médecine de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand : « Il y a des effets démontrés du CBD sur des cultures de cellules, parfois chez l’animal, mais il y a une différence très importante avec l’être humain et nous avons pour l’instant beaucoup de mal à faire cette démonstration sur des études humaines rigoureuses. Nous ne pouvons même pas prouver l’intérêt d’administrer l’ensemble de ces substances, c’est-à-dire les fameuses extractions à spectre large ou complet. » C’est cette incertitude scientifique qui a d’ailleurs conduit Jean-Vincent, sympathique pharmacien lyonnais, à refuser de vendre du CBD dans son officine du 6ème arrondissement : « Outre le fait que la législation n’est pas très claire, je ne vois pas bien l’intérêt de vendre des produits dont les bénéfices ne sont pas encore reconnus par les études scientifiques, pour des pathologies qui disposent déjà de médicaments ayant largement fait leurs preuves. Je ne dis pas que ce ne sera jamais le cas, mais ce n’est absolument pas à l’ordre du jour. » Un point de vue plutôt partagé par Nicolas Authier, surtout si la traçabilité des produits n’est pas garantie : « S’il s’agit de produits avec quelques traces de CBD, cela n’a probablement pas beaucoup d’intérêt, ni pour le bien-être, ni pour le thérapeutique ou quoi que ce soit d’autre. Même pour les produits cosmétiques déjà disponibles sur le marché, il n’a pas été démontré que cela avait une quelconque utilité chez l’homme. »
La parapharmacie, un cadre idéal pour la vente des produits dérivés du CBD
Quand le démarchage en pharmacie se révèle trop fastidieux, la parapharmacie constitue une solution intéressante à mettre en place : « Voilà trois ans déjà que nous avons créé le concept de « parapharmacie CBD », qui est également devenue une marque déposée, raconte Ferhat Alakoçoğlu, fondateur de Weed Paradise. Nous avons fait une étude de marché et consulté des avocats et des juristes avant de lancer le projet, car chacun sait qu’on ne peut pas utiliser les termes de « pharmacie“ ou « parapharmacie » n’importe comment. » Une initiative presque aussitôt saluée par la profession, via un comité de jeunes pharmaciens français : « Nous avons été contactés par cette association de pharmaciens qui nous a félicités pour cette initiative et nous a fait part de son étonnement, car elle ne pensait pas cela envisageable avant plusieurs années. Cela a évidemment conforté le bien-fondé de notre projet. » Ferhat ouvre donc sa première parapharmacie spécialisée dans le CBD à Châtenois, dans les Vosges, en reprenant pour son enseigne, les codes graphiques des vraies pharmacies et en proposant une grande variété de produits relevant habituellement de la parapharmacie : huiles essentielles, vitamines, cosmétiques, compléments alimentaires, mais aussi des produits de première nécessité : « Le statut de parapharmacie permet de vendre des marchandises essentielles comme des pansements ou des produits pour les nourrissons, ce qui nous a permis de rester ouvert pendant les confinements, alors que les boutiques de CBD ordinaires ont été obligées de fermer. Notre boutique a très vite rencontré un franc succès et nous a permis de développer largement notre activité et d’ouvrir également des boutiques en ligne. La parapharmacie est une excellente solution de secours pour tous les passionnés de la filière CBD amoureux des produits bien-être et altruistes qui n’ont pas le droit de prodiguer des conseils médicaux, mais souhaitent tout de même soulager des personnes souffrantes. » Plusieurs entreprises se sont introduites dans la brèche ouverte par Ferhat, notamment sur le Web où l’on trouve désormais de nombreuses boutiques virtuelles proposant des produits parapharmaceutiques au CBD, ou s’affichant clairement comme des parapharmacies CBD en ligne.
De la prudence en attendant une réglementation claire et une vraie caution scientifique
Lorsque la législation entourant le CBD sera enfin clarifiée par des décrets officiels, que l’Autorité européenne de Sécurité des Aliments aura donné son approbation au CBD et quand la science aura déterminé les bénéfices réels du cannabidiol dans un cadre thérapeutique, alors plus aucune barrière ne se dressera entre les pharmacies et les professionnels du CBD, qui pourront exploiter pleinement ce marché prometteur, comme le souligne Antoine Roux, fondateur de la société Yogha, qui commercialise du CBD bien-être disponible en parapharmacie : « Je pense que les cannabinoïdes ont un bel avenir dans le domaine pharmacologique. De grands laboratoires français attendent juste une clarification réglementaire pour se lancer et les pharmacies et parapharmacies constitueront une filière privilégiée par les consommateurs néophytes pour effectuer leurs achats. Ce sont en effet des espaces de conseils qui répondront sur divers aspects – choix des galéniques, concentrations, posologie – à leur méconnaissance du sujet. Les CBD shops, quant à eux, satisferont les demandes de consommateurs plus avertis et plus jeunes. À mon sens, la formation des professionnels de vente est la clé pour un développement optimal. »
CBD médical, peut mieux faire
En-dehors de ses usages récréatifs non régulés, le CBD thérapeutique est officiellement disponible dans les pharmacies françaises depuis le 21 avril 2021 sous la forme de gouttes ingérables contenues dans un médicament, l’Epidiolex (ou Epidyolex), comme le confirme Nicolas Authier : « L’Epidyolex a bien une autorisation de mise sur le marché européenne et il est disponible en France dans les pharmacies sur prescription médicale. Il ne se prescrit que dans des indications bien précises, sur deux syndromes épileptiques assez rares, graves, qui débutent dans l’enfance, le syndrome de Lennox-Gastaut et le syndrome de Dravet. C’est une huile fortement dosée en CBD, remboursée par la sécurité sociale. » Le second médicament autorisé est le Sativex, disponible depuis 2014 dans au moins 17 pays européens, mais qui n’est en revanche pas distribué en France : « Le Sativex a bien reçu une autorisation de mise sur le marché, mais il n’est toujours pas commercialisé en France parce qu’il n’y a pas d’accord sur le prix, la proposition tarifaire de la France n’ayant pas été acceptée par le laboratoire. Il n’y a donc pas de Sativex en France, précise Nicolas Authier. Ce médicament est utilisé notamment pour soulager certains symptômes de la sclérose en plaques. »
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