Médecin, psychiatre, chercheur à l’INSERM, professeur des universités, chef du service de Pharmacologie médicale et du Centre d’Évaluation et de Traitement de la Douleur au CHU de Clermont-Ferrand, le professeur Nicolas Authier est également l’un des grands spécialistes français du cannabis médical auquel il a d’ailleurs consacré un ouvrage paru aux Éditions First et intitulé, « Le Petit livre du Cannabis médical ». Nous nous sommes entretenus avec lui sur ce thème.
Vous avez pris la direction en mars dernier d’un comité scientifique temporaire, destiné à assurer le suivi de l’expérimentation du cannabis à usage médical pour une durée de deux ans. Quels sont les résultats de cette expérience sur la première année ?
Nous n’avons pas de résultats scientifiques disponibles pour l’instant, parce qu’il est trop tôt. Il y aura des données scientifiques, mais ce n’est pas l’objectif principal de cette expérimentation qui ne concerne pas la recherche clinique, mais la politique publique, ce qui n’est pas la même chose. Elle vise à évaluer un dispositif d’accès à ces médicaments et non pas leurs bénéfices. Néanmoins, il y aura quand même dans les objectifs secondaires une analyse des données saisies dans le registre, puisque finalement, on constitue une cohorte de patients traités. On sait déjà qu’il y a environ 20 % des patients qui ont quitté l’expérimentation à cause d’une inefficacité des traitements ou à la suite d’effets indésirables. Pour les 80 % qui restent, nous ne pourrons comparer que lorsqu’ils auront tous atteint une même durée minimale de traitement. Il sera alors intéressant de voir combien de patients sont allés au bout du traitement.
Sous quelle forme est administré ce cannabis à usage médical ?
Ce sont des huiles ingérées par voie orale et parfois en complément des fleurs séchées à vaporiser. C’est-à-dire que l’huile est un traitement de fond, quotidien, quand la fleur est plutôt prescrite en traitement complémentaire, notamment dans le cas d’accès douloureux mal contrôlé par le traitement de fond.
Qu’en est-il du CBD ? Cette molécule fait-elle également l’objet de recherches pharmacologiques ou la priorité demeure-t-elle le THC ?
Non pas forcément, cela dépend des indications. Le CBD a pour l’instant une validation scientifique et médicale pour certaines formes d’épilepsie résistances aux médicaments habituels. Il y a de nombreuses autres recherches qui portent sur cette molécule, mais nous manquons encore clairement de preuves scientifiques pour en promouvoir un usage thérapeutique. Nous avons bien des retours positifs de patients qui consomment des huiles de cannabis et d’autres des fleurs de cannabis riches en CBD, mais il y a une différence entre l’expérience des patients et la preuve scientifique qui permet d’en faire une allégation thérapeutique, avec ou sans prescription. Donc, pour l’instant, le CBD seul est indiqué essentiellement pour les patients qui ont des problèmes de troubles épileptiques, chez l’enfant ou l’adulte. Pour les autres indications, le CBD seul n’est généralement pas suffisant, par exemple pour les douleurs chroniques, réfractaires, en cancérologie, en soins palliatifs ou encore les spasticités, les problèmes musculaires liés à la sclérose en plaques, et il faut souvent lui associer du THC. On sait également qu’il y a d’autres recherches qui portent sur les extraits de cannabis riches en CBD dans le domaine de la psychiatrie (schizophrénie, troubles anxieux), des maladies inflammatoires également, arthrite, polyarthrite… Mais ces études n’ont pas non plus apporté jusqu’à maintenant de preuves solides de l’efficacité de la molécule face à un placebo. Si quelqu’un vous dit « ça marche pour moi », il faut le croire, car il perçoit bien un effet positif, mais cela ne signifie pas que cet effet est lié au CBD, c’est peut-être tout simplement un effet placebo. Concernant les produits à base de cannabis à usage médical, avec THC et/ou CBD, le niveau de preuves scientifiques reste modeste et il n’est donc pas possible pour l’instant de le positionner en première intention alors qu’il y déjà des médicaments qui existent et qui eux, ont fait leurs preuves comparés à un placebo. Le but est d’utiliser un médicament qui fonctionne différemment et qui peut parfois, chez certains patients, apporter un soulagement que l’on n’a pas obtenu auparavant. Cela concerne le plus souvent des pathologies chroniques, pour lesquelles on va essayer de réduire notamment la douleur. Il s’agit donc de produits qui s’intègrent dans un arsenal thérapeutique déjà existant avec des médicaments de première, deuxième, troisième intentions et la plupart du temps, ce cannabis médical arrive plutôt en deuxième ou troisième intention, en fonction des pathologies concernées. L’absence de preuves ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bénéfices, mais cela relativise cette idée d’effets un peu magiques ou miraculeux que l’on voudrait voir attachés à cette plante d’une part et puis cela signifie également qu’il faut aller plus loin dans les recherches sur la façon d’utiliser cette plante, peut-être avec des associations de substances plus pertinentes, mais cela rend aussi plus complexe l’évaluation scientifique.
Le cannabis médical est déjà autorisé dans d’autres pays d’Europe. Comment expliquez-vous la réticence de la France à l’égard de cette plante et de ses dérivés et même du CBD, puisque l’État en a récemment interdit la vente des feuilles et des fleurs ?
La question de la répression est un sujet particulier. Mais l’on ne peut pas dire en tout cas qu’il y ait aujourd’hui encore une frilosité sur l’usage médical du cannabis. Je crois qu’il n’y en a plus ou presque plus, même si vous pourrez évidemment toujours trouver des détracteurs. C’est quand même le gouvernement qui a accepté de publier un décret autorisant cette expérimentation, sachant très bien qu’à l’issue de cette période expérimentale, il sera compliqué de ne pas proposer une légalisation du cannabis à usage médical. Donc ce sont plutôt deux années destinées à préparer cette légalisation, à traiter en attendant les premiers patients, afin que le cannabis médical puisse à terme être disponible sur prescription médical en pharmacie. Avec quel statut, on ne le sait pas encore, mais équivalent à celui d’un médicament. Rien n’a encore été tranché par les autorités sanitaires, mais c’est aussi l’objectif de cette expérimentation, de pouvoir déterminer le statut de ces produits, de savoir s’ils seront remboursés ou non par l’assurance maladie. Par ailleurs, concernant la nouvelle réglementation d’interdiction de la fleur de cannabis riche en CBD, c’est une mesure prise davantage pour une raison sécuritaire en lien avec la position d’interdiction du cannabis en France, et moins pour une question de santé publique. Les fumeurs étaient et resteront des fumeurs après cette interdiction. Quant à la substance CBD, elle restera accessible, parfois même en quantité plus importante sous d’autres formes comme dans les huiles. Donc cette décision sur la fleur n’apporte pas de réponse au motif de santé publique avancée par les autorités sur les risques d’interactions médicamenteuses. Il est possible que cette interdiction soit rapidement remise en cause (ce qui s’est vérifié avec la suspension de l’interdiction par le Conseil d’État le 26 janvier, N.D.L.R.).
Peut-on affirmer, comme cela est souvent le cas, que le CBD ne présente pas de contre-indications ou de danger potentiel pour la santé ?
Pour ce qui est de l’innocuité, il faut savoir que toute substance active a des effets indésirables et le CBD ne fait pas exception à la règle. Il y a donc certains effets indésirables digestifs, neurologiques, hépatiques. Par exemple, si l’on en prend trop ou trop vite, il induit parfois une sédation, une somnolence. Les effets du CBD sont bien moins puissants que ceux du THC et cette substance ne semble pas être associée à un risque de dépendance. Le vrai challenge du CBD, ce sont les patients qui ont des traitements médicaux et qui consomment ce produit. Dans ce cas-là, il faut parfois être prudent car le CBD, d’autant plus à des doses élevées, a des interactions avec des dizaines de substances pharmaceutiques différentes, notamment au niveau du foie, qui peut ralentir ou accélérer l’élimination de certains médicaments. Le CBD peut donc augmenter les effets indésirables de certains d’entre-eux en les accumulant ou au contraire diminuer l’efficacité d’autres médicaments en les éliminant plus rapidement.
Quelles sont vos préconisations sur le sujet ?
Je propose d’aller plus loin dans la réglementation encadrant la vente de ces produits, en tenant compte notamment de la quantité de CBD par unité de prise ou de vente, justement pour limiter le risque d’interactions avec d’autres médicaments. Ainsi les usagers, selon leurs besoins, auraient accès au CBD selon trois voies. Le CBD médical (actuellement en expérimentation par l’ANSM), répondant aux bonnes pratiques de fabrication du médicament. Accessible sur prescription, dispensé en pharmacie, peut-être remboursé. Par exemple, seul dans des formes d’épilepsies pharmaco-résistantes, ou en association avec du THC dans la douleur neuropathique ou la spasticité. Le CBD en automédication, de qualité pharmaceutique, non remboursé, accessible en pharmacie. Pour des pathologies aigües et bénignes donc des traitements de plus courte durée. Il serait nécessaire d’évaluer plus rigoureusement les indications (insomnie transitoire, état anxieux…) et posologies à recommander. L’accompagnement de cette automédication en pharmacie répondrait notamment à la surveillance des interactions potentielles avec des médicaments et maintiendrait les patients dans un parcours de soin et des conseils adaptés. Parfois même pour les orienter vers des thérapeutiques non pharmacologiques. Certains producteurs français d’huile de cannabis riche en CBD l’ont déjà compris. Enfin, le CBD de confort disponible hors circuit pharmaceutique, à des doses ou concentrations limitées, qui s’adresserait à des usagers non malades, le plus souvent sans traitement associé, à la recherche d’un confort de vie supplémentaire.
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