Même si une régulation du marché semble se profiler, en attendant, le flou juridique autour du commerce du CBD laisse perplexe, consommateurs comme professionnels. Qu’est-ce qui est autorisé à la vente et/ou sans danger pour l’acheteur ?… Qu’est-ce qui légal et qu’est-ce qui ne l’est pas ?… Maître Steve Ruben, avocat pénaliste au barreau de Paris, pose le débat et répond à nos questions.

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PRÉAMBULE : QUESTIONS RELATIVES AU CBD
A titre liminaire, avant toute réponse aux questions posées, il faut comprendre ce qu’est le cannabidiol, communément désigné par l’acronyme CBD, et pourquoi il pose problème.
Il convient également de faire le point sur la législation française, récemment remise en cause par une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne et aujourd’hui en attente de clarification.
Cette décision de la CJUE amène néanmoins des perspectives optimistes, renforcées par un rapport de l’Assemblée nationale présentée en février 2021.
Pourquoi le CBD pose-t-il problème ?
Pour rappel, le chanvre, aussi appelé cannabis, est une plante contenant de nombreux cannabinoïdes, dont le THC et le CBD.
Le THC est le principe actif du cannabis : c’est une molécule psychoactive qui agit sur le système dopaminergique du cerveau et active le circuit de la récompense ; il est ainsi considéré comme une drogue car il modifie l’état de conscience du consommateur.
En revanche, en l’état des connaissances scientifiques actuelles, le CBD n’a pas de rôle psychoactif dans le cerveau et n’est pas classé produit stupéfiant ; certaines études mettent au contraire en avant des effets positifs sur le stress et l’anxiété, voire dans le traitement de certaines addictions.
Le problème des produits à base de CBD n’est donc pas le CBD lui-même, mais la présence de THC dans ces produits, même résiduelle.
En effet, les techniques d’extraction actuelles ne permettent pas d’isoler totalement le CBD du THC : il reste donc toujours des traces de THC dans les produits dérivés du CBD.
Par conséquent, ce qui a pu être sanctionné par les autorités n’est pas la vente de produits à base de CBD, mais bien la présence de THC dans ces produits.
Le CBD de synthèse, exempt de la présence de THC, est d’ailleurs autorisé et sa vente ne pose à priori aucune difficulté en France.
L’état de la législation française sur le CBD avant la décision de la CJUE
En France, jusqu’à la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 22 novembre 2020, seulement deux textes étaient utilisés pour interdire la vente de produits à base de CBD :
- L’arrêté du 22 août 1990 modifié;
- La circulaire du 23 juillet 2018 interprétant l’arrêté précité.
De ces deux textes, il ressort que la culture du chanvre, son importation, son exportation et son utilisation ne sont autorisées que dans la mesure où trois conditions cumulatives sont réunies :
- si la plante est issue de l’une des variétés de cannabis sativa prévues par l’article 2 de l’arrêté du 22 août 1990 (il s’agit d’une liste restrictive de variétés utilisables) ;
- si seules les fibres et graines de la plante sont utilisées ;
- si la plante utilisée (et non le produit fini) contient elle-même moins de 0,2% de THC.
Or, le CBD se situe en grande majorité dans les fleurs et les feuilles de la plante, et non dans ses graines ou ses fibres.
De même, le taux de THC prévu concerne la plante utilisée, et non le produit fini, qui lui ne doit strictement contenir aucune trace de THC.
- Par conséquent, cette législation interdit, de facto, la commercialisation de produits à base de CBD naturel.
- Ce sont ces textes qui ont conduit à de nombreuses poursuites sur tout le territoire, avec des réponses administratives et pénales très disparates créant, de fait, un climat d’insécurité juridique important.
La remise en cause de la législation française par l’arrêt de la CJUE
Le 19 novembre 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt important qui a remis en cause la législation française (CJUE, 4e ch. – 19 novembre 2020 – n°663/18 – « arrêt Kanavape »).
Cette décision a été rendue à la suite d’une question préjudicielle introduite par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans le cadre d’une affaire où deux personnes étaient poursuivies pour des infractions à la législation sur les substances vénéneuses, en ce qu’ils avaient commercialisé une cigarette électronique contenant de l’huile de CBD produit légalement en République Tchèque, membre de l’UE.
La cour d’appel demandait ainsi à la CJUE si l’arrêté du 22 août 1990, limitant la culture, l’importation et l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre aux seules fibres et graines de la plante, et interdisant de ce fait l’importation et la commercialisation d’e-liquide contenant de l’huile de CBD obtenue à partir de plantes entières, était conforme au droit de l’Union Européenne, et notamment au principe de libre-circulation des marchandises.
Dans sa décision, la CJUE a considéré qu’en l’état des connaissances scientifiques actuelles et au regard des conventions internationales, l’huile de CBD en question ne pouvait être considérée comme produit stupéfiant.
Elle a ainsi refusé l’interprétation littérale de l’arrêté de 1990, selon laquelle le CBD serait nécessairement un produit stupéfiant car produit à partir de l’intégralité de la plante et non à partir de ses seules fibres et graines.
Le principe de libre circulation des marchandises doit donc s’appliquer au CBD, et une mesure nationale qui interdirait sa commercialisation consisterait une entrave à sa libre circulation au sein de l’UE.
Toutefois, la CJUE admet qu’une telle mesure restrictive pourrait être justifiée par un objectif de protection de la santé publique, à condition que cette mesure soit nécessaire et proportionnée et que l’évaluation du risque ne se fonde pas sur « des considérations purement théoriques ».
Il faut cependant bien comprendre ici que la décision de la CJUE ne s’applique pas immédiatement au droit français.
En effet, si cette décision fournit une feuille de route à la juridiction de renvoi, c’est bien cette dernière qui devra apprécier, à la lumière des données scientifiques disponibles, si des effets néfastes pour la santé peuvent être liées à l’utilisation du CBD, justifiant l’application d’un principe de précaution.
Cette affaire revenant à la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 6 octobre 2021, aucune décision n’a encore été prise par la juridiction française.
Par ailleurs, il est important de préciser que si l’arrêt Kanavape remet en cause l’interdiction d’utiliser les fleurs et les feuilles du chanvre dans la création de produits à base de CBD, il ne met pas directement en cause l’interdiction française de toute trace de THC dans de tels produits finis.
Néanmoins, maintenir l’interdiction d’un produit fini contenant du THC, même en quantité infime, s’exposerait à une nouvelle inconventionnalité, puisqu’il est matériellement impossible d’extraire du CBD de la fleur sans conserver des traces de THC.
La grande imprécision de la législation actuelle
Il existe donc aujourd’hui un véritable flou juridique sur la question de la commercialisation de CBD et de ses produits dérivés en France.
Ce flou juridique conduisant nécessairement à une forme d’arbitraire, il permet aux Parquets de perquisitionner des boutiques de CBD, de procéder à des tests des produits mis en vente et, en cas de présence de THC, à lancer une action publique.
Ainsi, de nombreuses gardes à vue, mises en examen, et fermetures administratives ont eu lieu sur tout le territoire.
Des perspectives optimistes
Cette insécurité sera peut-être en partie levée prochainement par la Cour de cassation, qui doit se prononcer sur la mise en examen des deux co-gérants d’une boutique de CBD de Dijon.
Dans cette affaire, une perquisition a été effectuée dans une boutique commercialisant des produits à base de CBD, dont un certain nombre d’entre-eux ont réagi positivement au THC.
S’en est suivi la mise en examen des co-gérants, ainsi que la fermeture administrative de l’établissement pour six mois.
La Cour de cassation a sursis à statuer dans l’attente de la décision de la CJUE, et l’affaire devrait être rendue mi-juin 2021.
De même, un rapport de l’Assemblée Nationale sur le « Chanvre bien-être » rendu le 10 février 2021 invite les autorités à faire évoluer la législation pour permettre la croissance du marché du CBD et « souhaite qu’un appui décisif soit donnée à la filière française en cours de structuration ».
Il formule plusieurs propositions, notamment :
- Refonder l’arrêté du 22 août 1990 : supprimer la mention « fibres et graines», renoncer au seuil de 0% de THC dans le produit fini et définir un seuil entre 0,6% et 1% ;
- Placer les fleurs de CBD sous le statut de « produit à fumer à base de plantes autres que le tabac » ;
- Continuer à sanctionner les incitations à la consommation de stupéfiants et lutter contre les allégations thérapeutiques sur les produits du CBD ;
- Structurer la filière du chanvre et impliquer le réseau des buralistes dans la distribution des produits à fumer à base de CBD.
Aucune proposition de la loi n’a encore germé de ce rapport parlementaire.
Toutefois, s’il existe encore de vraies réticences, jusqu’au plus haut sommet de l’état, concernant la libéralisation du CBD, une large part de l’opinion publique et de nombreux politiques sont de plus en plus favorables à une évolution importante de la législation sur le CBD.
Questions à Maître Ruben
Un banquier peut-il refuser l’ouverture d’un compte professionnel, considérant que l’activité est tendancieuse ?
Les établissements bancaires peuvent tout à fait refuser d’ouvrir un compte bancaire professionnel et n’ont aucunement besoin de se justifier.
Ce sont les politiques internes des banques qui définiront leur positionnement vis-à-vis de projets relatifs à la vente de CBD, en prenant en compte, par exemple, le risque d’un préjudice pour leur image ou le risque qu’une législation stricte vienne remettre en cause l’existence de l’entreprise.
Ouvrir une boutique de CBD nécessite-t-il une autorisation spécifique ?
Pour le moment, la législation relative au CBD est imprécise, voire inexistante.
De fait, le CBD était considéré par les autorités françaises comme un produit stupéfiant sur la base de l’arrêté du 22 août 1990 et de la circulaire du 23 juillet 2018.
Si l’arrêt de la CJUE du 22 novembre 2020, dit « KANAVAPE », a remis en cause cette approche restrictive et répressive de la France, ni la loi ni les juridictions nationales n’ont encore pris acte de cette décision.
Le législateur français va devoir adapter sa législation, sous peine, à terme, de sanctions, mais aucune modification législative n’a eu lieu pour le moment.
Dès lors, aucune autorisation spécifique n’est sollicitée pour l’ouverture d’une boutique de CBD, pour la simple et bonne raison qu’en théorie, tout produit contenant du THC, même en quantité infime, est interdit.
Quels sont les produits qu’il est légal de vendre et quels sont ceux qui posent problème, et pourquoi ?
En l’état actuel du droit français, des produits finis présentant un taux de THC de 0% sont autorisés à la vente. Ainsi, bien que parfaitement absurde, il est possible d’utiliser une plante présentant un taux de THC inférieur à 0,2% pour produire un dérivé du CBD, à condition que ce dérivé présente un taux nul de THC.
Un contrôle de police suivi d’un test de dépistage positif des produits vendus pourrait conduire à des gardes à vue, mises en examen, et fermetures administratives des magasins.
Il faut bien comprendre que si l’arrêt de la CJUE donnera évidemment de très bons arguments aux magasins incriminés, il n’en demeure pas moins que les parquets pourront tout à fait décider de poursuivre les gérants et d’entamer ainsi une bataille judiciaire.
Peut-on vendre de la fleur ? Sous quel taux de THC ? Comment vérifier le taux de THC ?
La question de la légalité du commerce des fleurs de cannabis issues de variétés autorisées en culture en France et en Europe n’a pas été expressément tranchée par l’arrêt Kanavape de la CJUE. Toutefois, en bonne logique, les principes de cet arrêt devraient s’appliquer aux fleurs de chanvre dénuées d’effet psychotrope.
C’est en effet la notion de stupéfiant dans sa globalité et le principe de précaution en matière sanitaire qui doivent être revus par la législation française à la lumière de la décision de la CJUE.
A l’heure actuelle, la vente de fleur de CBD s’expose donc à des poursuites car, aussi absurde que cela puisse paraitre, le taux de THC du produit vendu doit être de 0% – ce qui est concrètement impossible.
Le seul moyen de vérifier le taux de THC est de le faire analyser par un laboratoire, mais il semblerait qu’en fonction des méthodes utilisées, les résultats puissent varier.
Il faudra, à terme, une harmonisation des protocoles de tests, et qu’une habilitation soit délivrée aux laboratoires pour délivrer des certificats de conformité à la législation.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Comment faire connaitre mon magasin ?
Sous réserve des éléments développés ci-dessus relatifs à la légalité même des produits à base de CBD, il est possible de faire connaitre son magasin de manière tout à fait classique : flyers, publicités, activités sur les réseaux sociaux.
Toutefois, certaines conditions doivent être impérativement respectées :
- ne pas revendiquer d’allégations thérapeutiques chez les produits vendus ;
- ne pas entretenir de confusion entre le cannabis et le THC, et de faire ainsi la promotion du cannabis.
Cette dernière pratique est en effet susceptible de constituer l’infraction pénale de provocation à l’usage des stupéfiants, réprimée par l’article L3421-4 du Code de la Santé Publique. Dès lors, il faut être particulièrement prudent pour assurer la promotion du CBD.
Quel taux de TVA s’applique à des produits CBD ?
Aucun taux de TVA particulier n’étant prévu pour les produits du CBD, c’est le taux normal de 20% qui s’applique aujourd’hui.
Ai-je le droit de me fournir ailleurs qu’en Europe ? En Suisse par exemple ?
Pour les mêmes raisons que celles évoquées plus haut, la réponse à cette question est tributaire d’une question plus fondamentale, celle de connaître le taux de THC contenue dans les produits importés.
A l’heure actuelle, si les produits issus du CBD présentent un taux de THC qui n’est pas nul, ils sont censés être interdits à la consommation, à la vente, et donc nécessairement à l’importation. Il semblerait néanmoins qu’en pratique, des produits contenant un taux de THC inférieur à 0,2% puissent passer les douanes françaises.
De manière générale, l’Union Européenne garantit la libre-circulation des marchandises sur tout le territoire européen.
C’est d’ailleurs ce grand principe qui a guidé l’interprétation de la CJUE dans son arrêt KANAVAPE du 22 novembre 2020. En effet, la CJUE a considéré que le CBD n’était pas un produit stupéfiant, et que de fait le principe de libre circulation des marchandises devait s’appliquer à lui.
Ainsi, tout mesure nationale qui interdirait sa commercialisation consisterait une entrave à sa libre circulation au sein de l’UE. En ce qui concerne les pays n’ayant pas intégré l’Union Européenne, il convient de se référer aux accords de libre-échange éventuellement signés par la France.
Pour quelles raisons des boutiques de CBD sont-elles fermées administrativement ?
Les boutiques de CBD peuvent être fermées administrativement à la suite de contrôles de police, à l’occasion desquels sont testés les produits à base de CBD mis en vente.
Lorsque ces derniers réagissent positivement au THC, des enquêtes ou des informations judiciaires pour infraction à la législation sur les produits stupéfiants sont ouvertes.
Dans ce cadre, les gérants peuvent être mis en examen et les boutiques fermées administrativement par décision des autorités.
Que faut-il présenter à des forces de l’ordre qui viendraient contrôler mon magasin ? Et comment réagir face à une perquisition ?
L’idéal serait de prévoir, au préalable, des consignes précises destinées au personnel, notamment pour que puisse se présenter la personne responsable le plus rapidement possible.
Il est également conseillé de ne pas stocker tous les produits dans le magasin, au risque de voir la totalité de la marchandise saisie.
Il ne faudra en aucun cas s’opposer au contrôle des policiers, ce qui pourrait constituer une infraction pénale.
Il faudra bien évidemment présenter tous les documents justifiant de l’existence de l’entreprise et de sa légalité.
A l’heure actuelle, en l’absence de législation précise, présenter un test de laboratoire attestant d’un taux de THC infime ou nul, n’apportera aucune garantie, les policiers procédant eux-mêmes à leur dépistage de produits stupéfiants.
Il faudra surtout solliciter le plus rapidement la présence de son avocat et, de préférence, garder le silence en attendant son arrivée si un placement en garde à vue ou une audition libre intervient.
Y -a-t-il des avocats qui connaissent mieux le sujet que d’autres ?
Comme dans tous les domaines, il existe des gens plus ou moins bien informés, et plus ou moins compétents… Les questions autour du CBD touchent à la fois :
- au droit commercial et au droit des sociétés, notamment dans l’optique de créer une entreprise de vente de produits CBD ;
- au droit européen, qui a une influence directe sur la législation française applicable ;
- au droit pénal, pour les risques encourus du fait de l’insécurité juridique existante.
Il existe bien entendu des avocats qui, s’étant spécialisé sur ces questions, ont donc pu développer des connaissances transversales pour aborder dans leur globalité les problématiques relatives au CBD.
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