Sujet du Magazine n°4 : Alors que le gouvernement devrait légaliser la production de CBD sur le territoire français avant la fin de l’hiver, tout en maintenant l’interdiction des fleurs de cannabis à la vente, on peut s’interroger sur la pertinence de cette dernière mesure qui, au-delà de son incohérence, risque de nuire à l’exploitation médicale du cannabidiol, notamment dans le domaine de l’addiction au THC. À l’aune des différentes études disponibles et avec le concours d’éminents spécialistes, nous avons fait le point sur les effets thérapeutiques du CBD en matière d’addictologie liée au cannabis.
L’addiction en quelques chiffres
Selon de récentes estimations, les addictions touchent plus de 30 millions d’individus à travers le monde et sont chaque année à l’origine d’un décès sur cinq, soit environ 12 millions. Des morts qui semblent pour beaucoup largement évitables, si l’on se fonde uniquement sur les multiples traitements disponibles, mais s’inscrivent dans une réalité bien plus complexe, semée d’écueils difficiles à contourner. L’un des principaux est la rechute particulièrement fréquente dans le domaine de la drogue, avec un taux oscillant entre 40 et 75 %. Cette prévalence élevée s’explique notamment par une faible efficacité des médicaments disponibles, voire, dans certains cas, une absence de thérapies ciblées. La recherche de solutions curatives plus efficaces constitue donc l’un des objectifs quotidiens de l’addictologie et le CBD, qui a déjà démontré son utilité dans le traitement d’autres pathologies (épilepsie, maladies dégénératives, dépression…), fait l’objet d’une attention accrue depuis ces dernières années, avec des résultats toujours plus prometteurs.
Déclenchées par des processus chimiques, les addictions relèvent bien de la pathologie
On connaît assez bien aujourd’hui les mécanismes biologiques qui conduisent à l’addiction, par la voie du « système de récompense ». Ce processus cérébral administre les sensations de plaisir procurées par certains actes ordinaires de la vie quotidienne (sexualité, nutrition…), dont il assure la régulation. Tout commence dans une partie basse du cerveau, l’aire tegmentale ventrale (ou ATV), constituée de neurones qui produisent pour l’essentiel une molécule biochimique, la dopamine. Ce neurotransmetteur multifonctionnel indispensable à la survie de nombreuses espèces, active notamment chez l’être humain le système de récompense. Lorsque des substances addictives (alcool, drogues, tabac…) pénètrent l’organisme, elles perturbent ce fameux système en empêchant la dopamine de se dégrader, conduisant ainsi à une augmentation de sa concentration. Même si c’est évidemment la consommation répétée de ces substances qui mène à l’addiction, certaines d’entre elles sont plus addictives que d’autres, parce que leur élimination par l’organisme est plus lente (cannabis) ou parce que leur mode d’administration emprunte des voies plus directes (tabac, héroïne…). En mémorisant l’action anormale des drogues, les neurones responsables finissent par développer une accoutumance qui entraîne un besoin exponentiel du consommateur et le conduit à une pathologie addictive dont il sera difficile de sortir.
Le traitement des addictions, un combat de longue haleine à mener sur plusieurs fronts
Si certains choisissent de s’occuper seuls du traitement de leur addiction, avec tout ce que cela comporte de contraintes et d’échecs, d’autres préfèrent opter pour une prise en charge médicale qui combine généralement psychothérapie, accompagnement social et médicaments de substitution. La durée du traitement varie entre autres selon la motivation du patient, le degré et la nature de son addiction, mais peut parfois se dérouler sur plusieurs mois, voire des années. Pour ce qui concerne le traitement médicamenteux des drogues, on utilise des molécules de substitution (méthadone, suboxone…) dans le cadre d’un protocole médical basé en grande partie sur la motivation du patient. Cela ne concerne néanmoins que les opiacés, puisque l’addiction à la cocaïne, par exemple, ne peut être traitée par aucun médicament approuvé, malgré de nombreux essais cliniques et surtout, les médicaments de substitution ne sont pas sans conséquence sur la santé physique et mentale des patients.
Le CBD, une molécule prometteuse dans le domaine de l’addiction aux opiacés et au cannabis
Si les dernières recherches expérimentales sur l’efficacité du CBD comme traitement de la dépendance à la cocaïne n’ont conduit à aucun résultat probant, il n’en va pas de même pour l’héroïne. Le cannabidiol, en effet, semble présenter dans ce cas-là un certain intérêt, notamment pendant la phase de sevrage. Des études menées sur un nombre significatif de toxicomanes ont ainsi montré une réduction des fringales, mais aussi de l’anxiété et même, de l’envie de drogue sur une durée supérieure à six jours. C’est néanmoins pour lutter contre l’addiction au cannabis que le CBD paraît constituer un traitement encore plus prometteur au fil des études. Un constat d’autant plus intéressant que la médication se limite aujourd’hui à l’utilisation d’un dérivé stable de la prégnénolone, molécule qui défend naturellement l’organisme contre les effets délétères du cannabis THC. La consommation de cannabis concerne environ 160 millions de personnes à travers le monde et quelque 5 millions en France (où elle est la drogue la plus utilisée après le tabac), dont tous ne sont évidemment pas concernés par une pathologie addictive. Parmi ces derniers, il en demeure tout de même environ 1,5 million dont la consommation quotidienne laisse supposer une dépendance marquée au THC et qui pourraient donc trouver dans le CBD une aide précieuse à un éventuel sevrage. Parmi les vertus du cannabidiol en matière de traitement de l’addiction au cannabis on trouve la réduction des effets psychotropes, à travers les résultats d’études menées sur différents groupes témoins. Il semble toutefois que cet effet réducteur ne puisse être obtenu qu’avec des doses assez élevées de CBD, supérieures ou égales à 400 mg. Le dosage paraît d’ailleurs constituer un élément-clé d’une éventuelle thérapie s’appuyant sur le cannabidiol, ainsi qu’en témoignent des essais cliniques conduits sur des animaux, mais aussi sur des consommateurs réguliers de cannabis. Ainsi, une dose d’environ 1 mg par kilo est susceptible de stopper l’anxiété due au THC et 600 mg de CBD peuvent agir positivement sur la paranoïa, les pertes de mémoire ou la psychose aigüe induites par la consommation de cannabis. Parmi les autres bénéfices du CBD sur l’addiction au THC, les études scientifiques rapportent une diminution importante des troubles du sommeil, mais également des symptômes de sevrage et une consommation moindre en cas de rechute.
Le cannabidiol est déjà largement utilisé par les consommateurs de cannabis
Le CBD présente l’avantage d’être efficace sous différentes formes, dont certaines empruntent des voies néanmoins peu recommandées par les addictologues (voir interview ci-après). Les consommateurs doivent donc plutôt privilégier les formes présentant la meilleure innocuité possible comme l’huile en administration orale. Beaucoup d’utilisateurs de THC ont d’ores et déjà inclus le CBD dans leur habitudes de consommation, comme le constate le professeur Laurent Karila, psychiatre spécialisé en addictologie : « On voit des usagers de cannabis qui vont alterner leur consommation, avec une fois un joint cannabis et la fois suivante un joint ou une vape de CBD. Il y a également des jeunes qui consomment du CBD en plus du cannabis pour calmer leur anxiété ou d’autres encore qui ne font qu’expérimenter le CBD sans forcément devenir des consommateurs réguliers. » À la lumière des différentes études déjà disponibles et de celles actuellement en cours et fort d’une popularité croissante, le CBD semble donc promis à un bel avenir dans le traitement de la dépendance au cannabis, même s’il lui reste à franchir quelques barrières éthiques et judiciaires, en particulier en France.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.